L'économie japonaise peut éviter le désastre

Face aux innombrables victimes du cataclysme qui a dévasté le nord-est du Japon, face à l'héroïsme des techniciens anonymes qui tentent de circonscrire le danger nucléaire à la centrale de Fukushima, face à l'extrême dignité d'une population japonaise frappée par une triple catastrophe, l'économiste est tenté de faire silence. Et pourtant ces territoires dévastés seront reconstruits et le pays fera face, une fois de plus, à ce nouveau coup du sort. Quels en seront les effets économiques et de quels moyens dispose le pays pour relever les multiples défis que lui inflige ce désastre ?

Les premières conséquences ont été immédiates : destruction d'unités de production dans la région touchée, interruption de l'alimentation électrique, désorganisation des transports, etc. La contagion s'est rapidement étendue par capillarité au reste du pays, notamment dans les deux secteurs-clés de l'automobile et de l'électronique, qui fonctionnent à flux tendu et dépendent en partie de la région dévastée pour la livraison de pièces détachées et composants.

D'ailleurs, cette onde de choc ne s'arrêtera pas aux frontières de l'Archipel et devrait toucher aussi les circuits de production en Asie, dont le coeur géographique est situé en Chine, mais dont le Japon constitue le coeur névralgique du point de vue technologique. Les usines de l'Archipel exportent machines-outils ou composants nobles, tandis que leurs filiales en Asie ou celles d'autres multinationales se répartissent les stades de la chaîne de valeur en fonction des avantages comparatifs des différents pays d'Asie, notamment la Chine pour l'assemblage final.

Il est impossible actuellement de chiffrer les dommages infligés à l'économie japonaise. Le seul élément de comparaison est le tremblement de terre de Kobe en 1995, que Standard & Poors avait estimé à 159 milliards de dollars (111,7 millions d'euros). Cette fois, le coût sera sans doute beaucoup plus élevé, compte tenu du tsunami et de la catastrophe nucléaire qui ont suivi. L'estimation de 200 milliards de dollars avancée par Goldman Sachs pourrait donc être largement dépassée.

Il s'agit là des coûts directs de reconstruction des usines, infrastructures, habitations, etc., qui ne prennent pas en compte les effets indirects, notamment la perte de richesse entraînée par la baisse de la Bourse et surtout l'impact sur la croissance de la chute de la production.

Sous réserve que la situation soit stabilisée à la centrale de Fukushima, il est probable que l'économie japonaise connaîtra "une courbe en V", à savoir une récession qui pourrait durer un ou deux trimestres, suivie d'un fort rebond durant la période de reconstruction. La croissance pourrait alors être nulle, voire négative, en 2011 mais à nouveau positive en 2012.

Un point-clé sera la durée nécessaire pour rétablir une alimentation électrique normale des unités de production, compte tenu de l'arrêt de la centrale de Fukushima et des contrôles nécessaires dans l'ensemble d'un parc nucléaire qui produit le quart de l'électricité du pays.

Il est probable qu'à terme la diminution de la part du nucléaire imposera un recours accru au pétrole et surtout au gaz, ce qui renchérira d'autant la facture énergétique du pays.

Le Japon, troisième économie et premier créancier au monde en termes d'actifs nets, a largement les moyens humains et financiers de faire face au coût de la reconstruction, qui représenterait seulement 3,7 % du PIB, 2 % de la dette publique et 1 % de la richesse nationale dans l'hypothèse de 200 milliards de dollars retenue par Goldman Sachs. Cependant les marges de manoeuvre sont étroites pour éviter que les financements nécessaires ne déstabilisent les marchés, tant au Japon qu'à l'étranger.

La première source de financement passe par un plan de relance budgétaire qui alourdira encore une dette publique très élevée (220 % du PIB en base brute, 110 % environ en base nette). Cette dette étant financée à 96 % par des investisseurs japonais, le pays ne dépend donc pas de l'étranger pour trouver de nouvelles ressources. Cependant, de nouveaux emprunts massifs pourraient entraîner une tension sur les taux d'intérêt qui alourdirait encore le service de la dette.

Seconde source possible de financement, le rapatriement d'actifs étrangers liquides, tels les bons du Trésor américain dont le Japon détient quelque 800 milliards de dollars. Après le séisme de Kobe, cette option n'avait pas été retenue. En effet, des ventes massives de ces titres auraient des effets négatifs ou déstabilisateurs, non seulement pour le Japon mais aussi pour la finance mondiale : chute des cours et donc pertes pour le Japon sur les titres qu'il aurait vendus, hausse des taux d'intérêt américains et flambée du yen qui handicaperait la reprise. Ce dernier risque est cependant tempéré par la décision prise par le G7, le 17 mars, d'intervenir sur les marchés de manière à éviter les effets récessifs d'une hausse du yen.

Plus largement, l'économie repose aussi sur la confiance en l'avenir. L'effet psychologique de cette catastrophe sur la population japonaise aura donc des effets indirects sur les perspectives de croissance. Au-delà des handicaps structurels qui freinent la croissance - déclin démographique, endettement public, manque de leadership politique -, le plus préoccupant est sans doute la perte de confiance du Japon dans son avenir, telle qu'elle se manifeste par exemple par la déflation, la chute de la natalité et une forme de repli sur soi.

La crise des années 1990 a été pour l'Archipel autant morale qu'économique et l'a dépouillé de cette forte volonté nationale qui auparavant le forçait au dépassement. Depuis, un Japon désenchanté semble s'acheminer vers l'avenir à reculons.

Mais peut-être y aura-t-il un avant et un après Fukushima ? Déjà, une trêve s'est instaurée sur le plan politique dans une sorte d'union sacrée. L'empereur, symbole de la nation, exprimait peu après à la télévision sa compassion pour les sinistrés. Cette déclaration historique a eu un seul précédent, l'annonce à la radio, par son père Hirohito, de la capitulation du Japon en 1945.

On peut espérer que le stoïcisme et la solidarité manifestés aujourd'hui par la population se traduiront ensuite par un sursaut national qui ranimerait les énergies du pays pour une reprise en main de son destin, dans une sorte de défi face à ce triple coup du sort.

Claude Meyer, professeur d'économie internationale à Sciences Po.

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