« Dieselgate »  : « L’Europe doit créer une agence européenne de l’automobile »

Après Volkswagen, d’autres constructeurs automobiles européens, dont les français Renault et PSA, sont soupçonnés de s’être livrés à des pratiques illicites en matière de tests de pollution pour certains de leurs modèles diesel. Le montant des compensations financières à verser par l’industrie européenne donne le vertige (la presse évoque près de 15 milliards de dollars pour Volkswagen).

Ce scandale soulève de nombreuses questions concernant la supervision de l’activité de conception et de ­construction automobiles à l’échelle nationale dans le système actuel. En outre, on peut regretter que ce soient des universités et des administrations américaines qui aient révélé le scandale, touchant en premier lieu des industriels européens. Heureu­sement, il semble que seuls des tests liés aux émissions de certains gaz, et non liés à la sécurité des véhicules, aient fait l’objet de fraudes.

Il existe pourtant un autre secteur industriel du domaine des transports dans lequel les activités de conception et de production sont fortement réglementées et contrôlées par la puissance publique : celui de l’aéronautique civile.

Supervisation

Au début des années 2000, sous la pression, notamment, des acteurs majeurs du secteur, le législateur européen a créé une Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA). Cette agence dispose de pouvoirs exécutifs qui lui permettent de superviser, entre autres, l’activité de conception aéronautique européenne. Ainsi, lorsqu’un type d’aéronef est conçu en Europe, le concepteur doit démontrer à cette agence que son produit répond aux normes européennes de sécurité, mais aussi de protection de l’environnement, y compris par des tests techniques réalisés sous la supervision de l’AESA.

En quoi un organe public européen analogue à l’AESA pour le secteur automobile serait-il susceptible de limiter la probabilité et l’impact d’une crise de type « dieselgate » ?

Une future « agence européenne de la sécurité routière », chargée notamment de la certification des nouveaux modèles automobiles européens, présenterait notamment deux avantages majeurs. D’une part, elle réunirait les meilleures pratiques et les meilleurs experts européens et atteindrait ainsi un niveau d’expertise technique inégalé. D’autre part, les rapports de force entre administrations techniques, sur le plan international, seraient modifiés par l’avènement d’une telle agence européenne.

Des économies d’échelle

Aujourd’hui, chaque administration nationale fait face à ses homologues internationales dans un rapport de force économique et politique parfois défavorable. La création d’une agence européenne, qui représenterait un important volume d’activité de construction automobile agrégé à l’échelle du continent européen, et un marché de près de 500 millions de consommateurs, modifierait ces rapports internationaux. Il est probable que dans le bras de fer technique et financier entre les industriels européens et l’administration américaine qui a suivi le « dieselgate », une agence européenne aurait été un atout majeur du côté européen.

Une agence européenne permettrait, par ailleurs, de réaliser des économies d’échelle – en permettant ­notamment de centraliser des activités telles que la production de règlements techniques ou en combinant des fonctions de support –, faciliterait la convergence réglementaire avec les principaux partenaires internationaux du secteur, ouvrant ainsi ­potentiellement de nouveaux marchés à nos constructeurs, et modifierait les rapports entre les industriels et leur administration de régulation.

Guichet unique pour l’industrie au niveau européen, une telle agence permettrait de mieux structurer les relations avec l’industrie et d’assurer ainsi une meilleure protection pour les citoyens et les consommateurs.

Lorsqu’une activité industrielle est hautement technique, le dialogue entre les industriels et l’administration permet d’ajuster le niveau d’exigence réglementaire à la réalité des solutions techniquement et économiquement viables au niveau de l’industrie. En contrepartie, l’administration, surtout si elle est techniquement solide – comme le serait une telle agence –, est davantage à même d’assurer la mise en œuvre effective de ses règlements et de limiter le risque de fraude. L’échelle européenne peut également assurer une plus grande indépendance, notamment vis-à-vis de certains réseaux d’influence nationaux.

Faire bouger les lignes

Une telle approche bénéficierait ainsi à la fois à l’emploi en Europe, aux citoyens et aux consommateurs, en leur assurant une protection aussi efficace que possible de la part de leur administration. Il est donc temps de faire bouger les lignes en s’inspirant de l’exemple du secteur aéronautique, qui a montré tout le bénéfice d’une telle approche pour les citoyens, les emplois, et les consommateurs européens. A la lumière des effets désastreux du « dieselgate », l’Europe doit créer une agence analogue dans le secteur de la conception et de la construction automobiles.

Certes, le contexte politique semble peu favorable à la création de nouvelles institutions européennes et à la mise en œuvre de nouveaux transferts de souveraineté à l’échelon européen. Mais c’est lorsqu’elle apporte des réponses concrètes et opérationnelles, bien que souvent insuffisamment médiatisées, aux problèmes des consommateurs et des entreprises que l’Union répond le mieux à la demande croissante de protection exprimée de façon de plus en plus criante par les citoyens européens.

Grégory Lièvre est employé de l’Agence européenne de sécurité aérienne, à Cologne (Allemagne). Il est par ailleurs membre du MoDem. Il exprime ici des opinions personnelles n’engageant que lui-même.

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