11-Novembre : « Il n’y a pas de différence de nature entre le soldat de 1914 et celui de 2018 »

Le 11 novembre, la France commémorera les 100 ans de l’armistice signé en 1918. Depuis 2011 dans la pratique et 2012 dans la loi, ce jour est aussi celui de l’hommage rendu à tous les militaires morts pour la France, y compris en opérations extérieures, et leurs noms peuvent être portés sur les monuments aux morts des communes. En 2011 également, a été décidée l’érection d’un monument spécifique aux morts en opérations extérieures, dont l’inauguration devrait enfin avoir lieu en 2019.

Ce tournant s’est produit alors que l’année 2011 a été la plus meurtrière pour l’armée française engagée en Afghanistan, avec 26 soldats défunts, dont 21 « morts pour la France ». Le sort réservé aux militaires des opérations extérieures s’est ainsi peu à peu rapproché de celui de leurs prédécesseurs, et notamment des combattants de la Grande Guerre.

Ces hommages, parce qu’ils résultent toujours d’un choix politique, doivent être concurrencés par d’autres formes de récits ; les historiens sont heureusement là pour établir les distinctions nécessaires à la compréhension des spécificités de chaque conflit armé. La continuité que ces signes tangibles établissent entre les soldats de 1914 et les militaires d’aujourd’hui, tout autant fondée sur des faits, mérite cependant d’être saluée.

Ces rites en effet viennent rappeler qu’il existe toujours des Français pour accepter de porter les armes, y compris dans ce que cet engagement comporte de plus tragique, et parfois même d’absurde. Ils obligent ceux pour qui l’épreuve du feu ne demeure qu’une expression théorique à se souvenir qu’elle est pour d’autres, encore, une réalité charnelle vécue en leur nom en raison de choix politiques collectifs.

Ces évolutions pourraient faire croire que l’identité combattante des armées a été largement clarifiée aux yeux des Français. Les chefs militaires, et en particulier le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, et le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Jean-Pierre Bosser, multiplient d’ailleurs les prises de parole qui visent à expliquer ce qu’est la « singularité du métier de soldat », pour reprendre les mots du second dans une tribune du 28 février 2018 (Le Figaro), une singularité fondée, sans idéalisation ni exaltation malvenue sur sa finalité combattante.

Cette pédagogie de la spécificité militaire apparaît comme l’aboutissement d’une décennie de retour du fait combattant dans le traitement médiatique de l’actualité militaire française, marquée par l’engagement en Afghanistan, l’opération « Serval » au Mali et le choc des attaques terroristes de 2015.

Emoi provoqué par des paroles malheureuses

Cette clarification à l’œuvre intervient cependant après de longues décennies au cours desquelles le soldat français a souvent été réduit, aux yeux de ses concitoyens, à des archétypes sans grande subtilité, faisant des poilus de la Grande Guerre un troupeau envoyé à l’abattoir, du soldat défait de 1940 un personnage de comique troupier et des appelés de la guerre d’Algérie un groupe uniforme de victimes des chefs militaires sans scrupule. Le temps a passé, la suspension du service national obligatoire décidée en 1997 a effacé bien des mauvais souvenirs mais ces stéréotypes ont perduré, ne permettant pas toujours aux Français de saisir la complexité des destins combattants.

Ce temps long de l’histoire et de la mémoire explique l’émoi provoqué par les mots malheureux d’un conseiller élyséen (rapportés par L’Opinion le 19 octobre) venus donner un sens particulier aux commémorations du centenaire de 1918. Affirmer que ce moment ne devait pas prendre une coloration « trop militaire » parce que les combattants de la Première Guerre mondiale étaient « pour l’essentiel des civils que l’on avait armés », c’est établir une différence de nature entre le destin des soldats qui se sont battus pour l’intégrité du territoire national au début du XXe siècle et celui des militaires qui, cent ans plus tard, continuent d’œuvrer par les armes à la paix de leurs concitoyens.

Certes, beaucoup des combattants de 1914 avaient été appelés, parce que l’armée française de la nation était ainsi constituée. Certes, les armées d’aujourd’hui sont composées de volontaires et leurs premiers renforts mobilisables sont des réservistes qui ont choisi un engagement.

Pour autant, la défense de la nation par les armes établit une filiation de fait entre les armées de 1914 et celles d’aujourd’hui. Au combat, ce sont les mêmes ressorts d’intelligence, de volonté et de liberté propres à l’expérience de la guerre qui sont mis en œuvre par les Français qui acceptent, au nom de leurs concitoyens, de porter dommage à un ennemi désigné par une autorité politique au risque de leur propre intégrité physique. Ce sont ces ressorts propres qui font que ni l’engagé volontaire mort en Afghanistan ni le poilu de 1918 ne sont des victimes absolues.

Ceux qui ont réagi aux propos tenus à l’Elysée ne l’ont pas fait parce qu’ils souhaitaient organiser une kermesse festive et belliciste, qui serait une sinistre farce oublieuse de l’horreur que cette guerre a inspirée à ceux qui l’ont faite et du rôle qu’ont ces commémorations du centenaire. Ils l’ont fait parce que des mots sont venus semer de la confusion alors qu’un débat de qualité sur les enjeux de défense exige précisément que le destin de ceux qui ont revêtu l’uniforme, hier et aujourd’hui, apparaisse avec le plus de clarté possible aux yeux des Français.

Par Bénédicte Chéron, Historienne, spécialiste des relations armées-société. Il est aussi chercheuse partenaire au Sirice (Sorbonne, identités, relations internationales et civilisations de l’Europe) et auteure du Soldat méconnu, les Français et leurs armées : état des lieux (Armand Colin, 192 pages, 16,90 euros).

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