1500 jours de désastre politique et social à Madagascar

Le 17 mars 2009, un putsch militaire destituait le président élu de Madagascar. Les mutins le contraignaient à l’exil et installaient au pouvoir à Tananarive le jeune maire de la capitale, Andry Rajoelina. La révolte contre le président de la Grande Ile Marc Ravalomanana, par ailleurs magnat de l’agroalimentaire, avait connu son paroxysme le mois précédent. Le 7 février, une trentaine de personnes furent tuées et plus de 200 blessées lors d’une marche des partisans de Rajoelina sur le palais présidentiel.

Cela fait 1500 jours que le peuple malgache assiste, impuissant et résigné, aux manœuvres dilatoires et aux promesses reniées d’un régime illégitime qui s’accroche au pouvoir pour conserver ses privilèges. Le président putschiste a démontré son incompétence. Il n’a réalisé aucun de ses objectifs. Il voulait organiser rapidement des élections pour rétablir l’ordre ­constitutionnel, réformer la justice, ­instaurer une gouvernance transparente et accélérer le développement économique. C’est le contraire qui s’est produit. Il a répudié les représentants du peuple et des régions. Il a créé des institutions sans légitimité démocratique et sans pouvoir de contrôle sur l’exécutif. Il pratique le clientélisme et le népotisme à grande échelle. La France, ancienne puissance coloniale qui avait aidé Rajoelina à destituer Ravalomanana, est en train de le lâcher.

Les Malgaches sont victimes du chaos, du banditisme, de l’arbitraire et de la gabegie. Selon l’Office national de la statistique, 80 pour cent des 22 millions d’habitants sont pauvres, contre 65 pour cent avant le putsch. Pour la nourriture et la scolarisation, la Grande Ile est classée par le Programme de développement de l’ONU parmi les ­derniers pays du monde avec Haïti et l’Afghanistan. Des bandes armées font régner la loi de la jungle. Dans les grandes plaines du sud de Madagascar, les «dahalos» voleurs de zébus, défient les forces de l’ordre. Armés de fusils, ils pillent, brûlent des villages, assassinent les habitants. Ils se sont emparés de centaines de bovidés. Ils les exportent avec la complicité de structures mafieuses qui gangrènent l’appareil de l’Etat. Dans les grandes villes, les attaques à main armée sont quotidiennes. Dès la nuit tombée, les habitants apeurés évitent de sortir de leurs demeures. Sur les routes, des groupes en uniforme rançonnent les voyageurs sans que l’on puisse savoir au nom de qui ils agissent. Les hiérarchies catholique et protestante, qui avaient joué un rôle conciliateur lors des précédentes crises, sont discréditées en raison de leur soutien à Rajoelina pour les premiers, à Ravalomanana pour les seconds.

Le chômage et la misère sont encore aggravés par le passage récent d’un cyclone dévastateur et meurtrier. Les routes, dont plusieurs ont été refaites grâce à l’Union européenne, sont de plus en plus défoncées. Deux millions d’enfants travaillent dans le secteur informel. L’ONG Groupe Développement Madagascar révèle que la moitié des prostitués de la capitale sont des filles de 12 à 18 ans.

Toutes les initiatives de sortie de crise entreprises par des personnalités malgaches, des diplomates étrangers ou par l’intermédiaire de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont échoué en raison de l’intransigeance du président de la transition. Après avoir été ajournées maintes fois, les élections présidentielles sont prévues le 24 juillet prochain et le second tour couplé avec les législatives le 25 septembre. Les deux rivaux, le président destitué et le président putschiste, ont annoncé, sous la pression diplomatique, qu’ils ne seront pas candidats. Néanmoins, Ravalomanana a la ferme intention de revenir de son exil sud-africain pour mener campagne à la tête de ses troupes et Rajoelina manœuvre déjà pour faire triompher un de ses séides, auquel il entend succéder le plus vite possible.

Pour qu’elles soient de nature à réconcilier les habitants avec leurs autorités, qu’elles puissent convaincre les chancelleries étrangères de la légitimité du pouvoir et qu’elles ramènent les bailleurs de fonds dans la Grande Ile, ces élections doivent être libres, transparentes, neutres et supervisées par des observateurs malgaches et onusiens ou africains. Elles doivent aussi être précédées d’une amnistie en faveur des détenus politiques et du démantèlement de la Force d’intervention spéciale (FIS), une milice à la solde du gouvernement.

Actuellement, aucun signe ne permet d’espérer une sortie de crise sans affrontements violents. La population révoltée est à bout de patience. L’armée est divisée, politisée, indisciplinée. La police, la gendarmerie, la justice et l’administration sont corrompues. Dans les réserves naturelles protégées, l’abattage et le trafic illégal de bois de rose et d’ébène s’effectuent en toute impunité. Des entreprises étrangères ont spolié les paysans de leurs terres sans que l’on sache qui les y a autorisés. Ainsi, dans les grandes plaines de l’Ihorombe, les éleveurs se plaignent de l’accaparement de leurs pâturages par le groupe italien Tozzi Green, notamment. Cette entreprise cultive sur 2000 hectares du jatropha, un agrocarburant qui n’est comestible ni pour la population, ni pour le bétail. Les habitants de plusieurs villages ont demandé aux autorités locales et nationales d’intervenir pour empêcher l’extension des plantations. Plusieurs pays, occidentaux et asiatiques, convoitent ou exploitent des gisements d’uranium, de cobalt, d’ilménite, de fer, de charbon, de pétrole, etc.

Madagascar occupe une position géostratégique privilégiée dans l’océan Indien. Elle dispose de potentialités minières, agricoles, forestières, halieutiques et touristiques considérables. Hélas, obnubilée par la défense de ses intérêts personnels, la clique au pouvoir dilapide ces richesses et l’autocrate président abandonne la population à son sort miséreux.

José Ribeaud, journaliste.

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