25 ans de Maastricht : « A bas la vertu, vive la croissance ! »

L’économie européenne ne va pas bien : chaos à l’Est, langueur à l’Ouest, digestion lourde en Allemagne réunifiée. Dans cette passe difficile, deux bouées de sauvetage possibles ou espérées : la reprise internationale, qui rôde « au coin de la rue » depuis bientôt deux ans, une plus grande intégration de la petite Europe.

De tels espoirs, à terme proche, sont largement déraisonnables. Les trois ans d’embellie que nous avons connus jusqu’à la veille de la guerre du Golfe étaient une parenthèse qui devait presque tout aux circonstances : contre-choc pétrolier, mise en place du grand marché communautaire, déréglementation financière, absorption de la République démocratique allemande (RDA) par la République fédérale (RFA).

De ces événements, les deux premiers ont à peu près épuisé leurs effets. Les deux autres ont développé des conséquences perverses (inflation des actifs, endettement, dérapages budgétaires), dont la correction est loin d’être acquise, parfois à peine amorcée. Sur quelle reprise, dès lors, peut-on compter, quand les trois pôles de l’économie mondiale, Etats-Unis, Japon, Allemagne, sont en phase de purge, ou de nécessité de purge ? Un mot à cet égard du cas allemand.

Politiques restrictives

Les critères de convergence vers la monnaie unique obligent les Etats les moins bien gérés de la Communauté économique européenne (CEE) à des politiques restrictives, qui pèseront sur la croissance de la Communauté. Mais ces évolutions sont finalement de second ordre au regard des difficultés allemandes, qui exigeront, beaucoup plus longtemps qu’on ne le supposait, une extrême rigueur monétaire et/ou budgétaire, selon la répartition opérée entre les nationaux et l’étranger du coût de la réunification. Facteur de dépression qui, ajouté à l’austérité dans les pays à gestion publique relâchée et au coût des subventions aux régions pauvres, est gros d’un risque d’explosions, sociales et politiques.

De façon plus générale, trois problèmes majeurs obscurciront un bon moment encore l’horizon européen.

- Le durcissement des règles prudentielles et de la gestion du crédit et des finances publiques en période de stagnation, voire de récession, entrave, s’il ne l’étouffe, toute velléité de reprise, à supposer qu’il ne débouche pas sur une déflation pure et simple.

- Le niveau des taux d’intérêt réels au regard du rythme de croissance favorise les rentiers, pénalise le risque et l’innovation et mine en profondeur tout l’édifice financier.

- Plus fondamentalement, la demande dans les pays nantis du Centre et du Nord arrive à saturation, alors que les besoins, donc les possibilités d’expansion, sont considérables et insatisfaits à la périphérie de l’Est et du Sud.

Le seul vrai levier de relance

On peut, dans ces conditions, se demander si la bonne et quasi unique recette consiste à copier partout en Europe le modèle de gestion publique à l’allemande qui, au demeurant, apparaît à la fois comme très spécifique et peut-être contesté dans son propre périmètre. Et le précédent de l’unité allemande fait douter précisément que l’unification monétaire constitue la meilleure formule pour venir à bout d’écarts considérables dans les niveaux de développement.

La question centrale en Europe, en effet, n’est pas d’exhorter les Etats riches ou semi-riches à plus de vertu financière et monétaire pour éblouir ou éduquer les pauvres, mais de proposer un projet de croissance des plus pauvres, financé par les plus riches au plus grand profit de tous. Là sans doute se trouve le seul vrai levier d’une relance des économies. Ce qui suppose qu’un vrai débat s’instaure et se conclue sur le partage des coûts, les conditions et les moyens de la mise à niveau des zones retardées et que, dans ce rattrapage, on renonce à toute préséance historique ou politique entre nations relativement déshéritées (l’Irlande plutôt que la Hongrie, le Portugal plutôt que la Pologne…).

L’Europe a besoin d’espoir

Pareil message serait sans doute mieux reçu par les opinions publiques et plus favorable au succès de l’idée européenne que les obscures controverses actuelles autour du traité de Maastricht. Car l’Europe a besoin d’espoir plus que de discipline et d’imagination plus que de règlements.

La proposition vaut également sur le plan politique. En dépit ou à cause de ses vertus supposées d’intégration, l’Union européenne n’apporte pas une réponse suffisante aux défis que suscite la fin de la guerre froide. Il y faudrait aussi - et probablement davantage ou d’abord - une incitation à l’échange libre sur tout le continent, dont l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) offre un exemple outre-Atlantique.

Il y faudrait surtout un véritable schéma de coopération politique, proposé en même temps aux pays d’Europe centrale et orientale. Et pourquoi, par exemple, puisque Sarajevo se situe au cœur de la problématique européenne d’hier et d’aujourd’hui, ne pas revendiquer pour la CEE mandat provisoire de prendre en charge et gérer la Bosnie multiculturelle et meurtrie, avec l’ambition, sous réserve qu’y consentent ses citoyens de toutes ethnies ou religions, d’en faire à terme un district européen à valeur de référence exemplaire ?

Emmanuel Devaud était, en 1992, directeur des études à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Il est aujourd’hui retraité.

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