3.650 jours d'injustice pour 19 prisonniers sahraouis

Manifestation pour soutenir les Sahraouis du groupe de Gdeim Izik, à Salé en décembre 2016. Photo Fadel Senna. AFP
Manifestation pour soutenir les Sahraouis du groupe de Gdeim Izik, à Salé en décembre 2016. Photo Fadel Senna. AFP

Depuis dix ans, 19 prisonniers politiques sahraouis sont injustement emprisonnés suite à un procès inique, entaché notamment par l’utilisation d’aveux obtenus sous la torture. Ils sont actuellement rejugés. Un procès éminemment politique, avec en toile de fond la question très sensible de l’autodétermination du Sahara occidental. Verdict prévu le 25 novembre. Dix ans. 3 650 jours. 87 600 heures. Cela fait dix ans qu’ils attendent, dans leur geôle, que justice soit rendue. «Ils», c’est le groupe de Gdeim Izik. De quoi s’agit-il ?

L’affaire remonte au 8 novembre 2010. A l’époque, dans le territoire du Sahara occidental, 20 000 Sahraouis manifestent pacifiquement au lieu-dit Gdeim Izik, au sud de la ville de Laâyoune, afin de protester contre les discriminations dont ils s’estiment victimes de la part du gouvernement marocain et revendiquer leur droit à l’autodétermination. Le sujet est hautement sensible, comme le montrent les tensions actuelles à Guerguerat : le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole reconnue comme territoire «non autonome» par l’ONU, est revendiqué et occupé par le Maroc sans que la population autochtone du territoire, les Sahraouis, ait eu l’occasion de se prononcer sur son devenir politique.

Des aveux sous la contrainte

Le rassemblement de Gdeim Izik est un événement majeur, considéré par certains spécialistes comme l’annonce du printemps arabe. Le 8, les autorités marocaines décident d’évacuer le camp de force. Des affrontements meurtriers éclatent, au cours desquels 13 personnes, 11 agents des forces de sécurité marocaines et 2 Sahraouis, sont tuées. Parmi les centaines de manifestants arrêtés, 25 militants considérés comme les meneurs de la protestation sont accusés du meurtre des policiers et incarcérés. 23 d’entre eux auraient été soumis pendant leur garde à vue à divers actes de torture et de traitements inhumains et dégradants, dont des violences sexuelles, des menaces, des coups répétés, des privations d’eau et de nourriture, avant d’être forcés à signer des aveux sous la contrainte pour les crimes dont ils sont accusés. Le 16 février 2013, ils sont condamnés à de très lourdes peines par un tribunal militaire.

Ces condamnations sont prononcées sur la base des aveux obtenus sous la torture, à l’issue d’un procès marqué notamment par le refus d’entendre les témoins cités par la défense et d’enquêter sur les allégations de torture. Les noms des victimes que les accusés sont présumés avoir tuées n’ont même pas été mentionnés lors du procès. Une parodie de justice. Le Comité contre la torture des Nations unies (organe chargé de veiller à la bonne application de la Convention contre la torture, dont le Maroc est partie) est saisi. En 2016, il condamne le Maroc pour torture pendant l’arrestation, l’interrogatoire et la détention d’un des détenus, Naâma Asfari, ainsi que pour absence d’enquête sur les allégations de torture, prise en compte d’aveux signés sous la torture et mauvais traitements en détention – entre autres.

Le coup est dur pour le royaume chérifien, engagé dans un lobbying intense pour convaincre ses partenaires internationaux de son engagement dans la défense des droits humains. Pourtant, l’année suivante, en juillet 2017, un nouveau jugement prononce de très lourdes peines, toujours sur la base d’aveux forcés. Les allégations de torture ne font toujours pas l’objet d’une enquête sérieuse par les juges ayant réexaminé l’affaire. Plusieurs rapporteurs des Nations unies réagissent aussitôt en soulignant notamment les manquements au droit à un procès équitable et le caractère arbitraire de cette détention. Les accusés et leurs avocats marocains, eux, se sont déjà retirés du procès depuis plusieurs mois, refusant de participer à ce qu’ils estiment être un simulacre de procès. Où en est-on aujourd’hui ? Les 19 du groupe de Gdeim Izik sont, depuis dix ans, en prison, arbitrairement. Eux comme leurs familles subissent régulièrement des représailles et mesures punitives en raison de leur détermination à obtenir justice : restrictions au droit de visite, mise en isolement, surveillance policière des proches…

Une nouvelle audience a eu lieu le 4 novembre, dont le verdict doit être rendu public le 25 novembre. La cour annulera-t-elle les jugements précédents pour ordonner un nouveau procès respectant enfin les droits des accusés ? Le Maroc entend-il diligenter des enquêtes indépendantes sur les allégations de tortures subies, démontrant qu’il respecte les droits humains et ses engagements internationaux ? La justice parviendra-t-elle à démontrer que seule l’application stricte du droit motive ses décisions ? Les jours qui viennent seront décisifs. Pour les 19 détenus qui attendent depuis dix ans au fond de geôles sordides un procès équitable, mais aussi pour l’image que le Maroc donnera au monde à un moment décisif de son histoire.

Bernadette Forhan, présidente de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat-France).

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