Le compromis de Lausanne est un essai à transformer

La conclusion, le 2 avril, de l’accord de Lausanne sur les paramètres de la négociation entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie) plus l’Allemagne constitue une étape majeure sur la voie de la résolution de la crise nucléaire.

Après douze années de négociations, les termes d’un accord restreignant les ambitions nucléaires iraniennes sont posés. Par prudence, on notera que les seules précisions disponibles sont celles contenues dans un document préparé par le Département d’Etat américain, le texte de l’accord lui-même n’ayant pas été rendu public.

Si le négociateur iranien, le ministre des affaires étrangères de la République islamique, Javad Zarif a critiqué le « spin » (l’art de faire fuiter des éléments d’information afin de désamorcer les critiques) américain, il n’a néanmoins pas contesté le contenu de ce texte qui peut donc servir de base à une analyse des progrès de la discussion, alors que la négociation « technique » s’est engagée et doit se conclure d’ici au 30 juin 2015. En première lecture, on peut constater des avancées considérables depuis novembre 2013, mais relever également un certain nombre de points à préciser qui permettent d’affirmer que la négociation se trouve bien au milieu du gué.

Parmi les points positifs de l’accord de Lausanne, on relèvera pour la première fois des décisions précises qui établissent pour dix ans un cadre contraint pour les activités nucléaires iraniennes. Si les Occidentaux ont, depuis 2013, renoncé à obtenir l’interdiction des activités d’enrichissement de l’uranium, celles-ci sont sérieusement encadrées. Le nombre de centrifugeuses est limité pendant dix ans à 6 104 contre 19 000 installées, ce qui constitue un recul des deux tiers de la capacité d’enrichissement de Téhéran, loin des chiffres parfois fuités ou envisagés et plus près des préconisations françaises.

Le temps de réagir

Ces centrifugeuses devront rester de première génération. En outre, l’Iran accepte de limiter pour quinze ans l’enrichissement à 3,67 %, loin des 90 % requis pour la bombe ou même des 20 % déjà produits, et à réduire le stock d’uranium faiblement enrichi qui passerait de 10 000 kg à 300 kg pendant la même période. La conversion du site enterré de Fordow, qui ne pourra être le cadre d’aucune activité liée à l’enrichissement, est une mesure de confiance complémentaire bienvenue. Tout ceci augmente le temps nécessaire à l’Iran pour produire suffisamment de matière fissile pour fabriquer une bombe, le fameux « breakout time », qui, selon les Américains, passe de deux ou trois mois à plus d’un an, laissant à la communauté internationale le temps de réagir à une violation éventuelle.

On notera également que l’autre voie vers l’arme nucléaire que pouvait constituer le réacteur à eau lourde d’Arak est également contrainte, l’Iran s’engageant à revoir son design et à exporter tout le combustible nucléaire usagé, dont du plutonium aurait pu être extrait. Il s’agit là aussi d’un progrès majeur à saluer. Enfin, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) se voit confier un rôle de surveillance étendu de l’ensemble des activités nucléaires iraniennes dans le cadre des garanties additionnelles. Sans être un régime dérogatoire, cela crée une obligation de transparence internationalement vérifiée dans la durée, même si certains sites militaires sensibles semblent exclus.

En contrepartie, l’Iran obtient la levée des sanctions nucléaires américaines et européennes une fois ces mesures mises en œuvre. Les sanctions des Nations unies seront, pour leur part, levées en fonction de la résolution des questions en suspens dont le sujet sensible des dimensions militaires possibles (PMD) de ses activités nucléaires. Européens et Américains se réservent la possibilité de rétablir leurs sanctions en cas de violation de l’accord. En revanche et s’agissant des sanctions onusiennes, aucun mécanisme automatique n’est prévu à la demande de la Russie.

In fine, l’accord apparaît comme plus robuste que redouté par ceux qui, comme l’auteur, s’inquiétaient d’un accord plus général et politique dans lequel les paramètres techniques seraient laissés de côté pour faciliter la conclusion rapide de l’accord.

Pour complet qu’il soit, l’accord de Lausanne est bien davantage une étape dans un processus de tractations qui va exiger encore des parties une négociation ardue et des efforts dans la durée. Il ne comprend en effet, à ce stade, aucun calendrier précis de mise en œuvre. Nous disposons donc d’un état final recherché sans disposer pour le moment des différentes étapes précises permettant d’y parvenir, qu’il s’agisse du rythme et des modalités de démantèlement des installations iraniennes concernées ou de la levée des sanctions.

Vigilance permanente requise

Certains sujets comme les « dimensions militaires possibles » sont traités de manière rapide, voire elliptique, alors qu’il s’agit d’un élément nécessaire pour pouvoir dresser un état des lieux complet. On voit qu’un certain nombre de « détails » importants sont laissés à la négociation « technique ». Afin d’éviter tout contentieux à l’avenir, ces futures négociations sont donc beaucoup plus cruciales que la communication de la Maison Blanche ne le laisse entendre et promettent sans doute de belles empoignades. On peut cependant espérer que l’impulsion politique de Lausanne permettra d’aboutir.

Au-delà, une vigilance permanente sera requise pendant au moins une décennie pour s’assurer que l’accord tienne bien au-delà de la levée des sanctions. La mise en œuvre dans la durée d’un accord aussi exigeant et ambitieux va exiger de la part de toutes les parties, à commencer par Téhéran, un engagement ferme. L’accord-cadre signé par les Etats-Unis avec la Corée du Nord en 1994 n’a ainsi pas résisté aux tensions avec Pyongyang et s’est terminé par une rupture suivie du premier essai nucléaire nord-coréen.

L’Iran aspire sans doute davantage à une réintégration dans le jeu international et a plus à gagner à une levée des sanctions, mais des retournements politiques sont toujours possibles, alors que le programme nucléaire n’est pas intégralement démantelé. Sans préjuger de l’avenir, il conviendra d’observer dans les semaines à venir le jeu des « durs » à Téhéran et à Washington.

Plus précis qu’attendu, l’accord de Lausanne est donc un bel essai à transformer par l’adoption de modalités techniques précises et robustes d’ici au 30 juin et une mise en œuvre dans la durée. Au-delà du strict dossier nucléaire, il est loin d’être acquis que cet accord porte en germe le grand bouleversement géopolitique espéré à Washington, tant il n’est pas certain que Téhéran cesse du jour au lendemain d’être le « grand perturbateur » décrit par Thérèse Delpech.

Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.

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