A Calais, un camp des années 30

Avec un nouvel afflux de réfugiés et une population de 6000 habitants qui ne cesse d’augmenter, la Jungle va devenir bientôt la deuxième plus grande ville du Calaisis. Il aura fallu attendre pour que soit présentée la première proposition officielle de mise à l’abri des populations. Comme on le craignait, elle ne s’adresse qu’à 1500 personnes alors qu’ils sont 6000 dans le camp.

C’est La Vie Active, une association locale, qui a été désignée pour mettre en place ce camp. La Vie Active gère des maisons de retraite et assure la prise en charge du handicap dans le département du Nord Pas-de-Calais. Elle n’a aucune expérience sur le sujet de l’hébergement de réfugiés. Sa seule légitimité locale est d’assurer les douches et l’unique repas quotidien du camp à 2500 personnes, à 17 heures précises après deux heures de queue, depuis le mois d’avril.

Nous avons eu connaissance du plan du camp qui lui a été commandé par l’État et qu’elle va mettre en œuvre dans les prochains jours. Le plan est pire que tout ce que l’on pouvait craindre. Un camp fermé de 74 containers rangés et alignés avec une orientation défiant le bon sens, aussi mauvaise pour le soleil que pour le vent : les habitants ne verront pas le soleil en hiver et les «rues» sont alignées dans le sens des vents dominants : axées sud-ouest, elles font moins de 3 mètres de large. Il n’y a aucun raccordement à l’eau. Le camp est implanté dans la zone la plus généreuse et facile, la grande plaine sableuse centrale ; ce faisant, il va chasser environ 400 personnes qui s’y étaient installées. Il va par ailleurs impacter une butte qui constituait un des rares points hauts qui qualifiait le site ; touchée sur plus de sa moitié, le reste de cette butte risque de s’effondrer sur le camp dans les mois qui viennent.

Il n’y a aucune urbanité ; aucun lieu de rassemblement, de sociabilité ou de rencontre n’est proposé. On peut noter la noirceur du trait qui entoure le camp pour bien marquer l’enfermement et les concepteurs ne semblent pas avoir pris en compte le fait que la zone est partiellement inondable. Alors qu’il s’agit de loger 1.500 personnes, il n’est nulle part fait mention d’un architecte. On sait depuis longtemps, en Jordanie, en Turquie, qu’un camp doit être pensé comme une ville, que les humains ne peuvent plus y être traités comme du bétail, comme des corps à gérer, à nourrir et à faire déféquer. En 2015, la France ne serait donc capable que de proposer un alignement de containers, des boîtes en métal fermées faites pour le transport de marchandises pour loger des familles en fuite ?

Quantité de meilleures solutions existent, tout aussi rapides à construire, et souvent moins chères. Le modulaire est une option, mais ce n’est pas la seule et celles basées sur l’auto construction ont su faire leurs preuves dans de nombreux endroits. A Calais même, plus de 500 cabanes ont été construites de cette manière, pour la plupart bien construites, étanches et isolées et surtout appropriées par leurs habitants. Sur des bases modulaires, il est possible de trouver des dispositions qui sont nettement plus favorables à la qualité de vie. Des architectes travaillent sur le sujet depuis des décennies.

Manuel Valls a inauguré la semaine dernière le mémorial du camp de Rivesaltes, ce camp construit en 1941 pour accueillir les réfugiés espagnols, juifs, tziganes et harkis. Alors qu’on en dénonce la forme concentrationnaire, on s’apprête à Calais à en construire un dont la forme architecturale sera encore pire.

Cyrille Hanappe, Architecte-ingénieur (AIR Architectures), maître assistant à l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Belleville.

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