A Cuba, le changement, ce n’est pas vraiment maintenant

Réformer, oui, mais perdre le contrôle, non. C’est en résumé la philosophie des réformes engagées au compte-gouttes par le gouvernement de Raul Castro à Cuba. Elle se manifeste dans toutes les mesures ou demi-mesures concédées sur le terrain économique comme sur celui des libertés individuelles. Les libertés collectives, elles, attendront justement des jours meilleurs.

La nécessité du mouvement est dans toutes les bouches, celle du pouvoir comme celles de la société. Elle revient comme un leitmotiv. « Il y a un consensus à Cuba : il faut changer. Changer le modèle de la société. Le débat porte sur le comment », résume Roberto Veiga, directeur de la revue Espacio Laical, attachée à l’archevêché de La Havane, l’un des rares lieux de débat toléré par le pouvoir. S’il parle d’« actualisation du modèle économique » et est à l’origine du flux contrôlé mais constant de mesures réformatrices depuis son accession à la tête de l’Etat en 2008, Raul Castro a critiqué les « nœuds » du modèle économique de son pays.

Changer, mais pas n’importe comment. La nouvelle loi sur les investissements étrangers, publiée en avril, illustre cette obsession du pouvoir de continuer à contrôler les Cubains. La loi permet à des entreprises ou des personnes étrangères, y compris des Cubano-Américains, d’investir à Cuba, mais l’interdit aux Cubains de l’île. Le motif officiel de cette exclusion est que les Cubains – y compris ceux qui ont fondé leur petite entreprise – ne disposent pas des capitaux suffisants pour répondre aux énormes besoins de l’économie. Et s’ils en disposent, compte tenu des règles qui corsètent l’activité économique, ce ne peut être que parce qu’ils ont fraudé. « Cette loi est antinationale !, proteste le dissident social-démocrate Manuel Cuesta Morua. Ce type de mesures vise à maintenir le contrôle de l’Etat sur la société. Il n’est pas permis aux Cubains de s’enrichir indépendamment de l’Etat. Ils sont tenus dans la sujétion sociale. »

Malgré la demande insistante des entreprises étrangères installées à Cuba, il ne leur sera toujours pas permis de choisir leur personnel cubain. La loi prévoit qu’elles devront toujours passer par les agences pour l’emploi de l’Etat. Elles continueront de payer leurs salaires à l’Etat, qui redistribue une partie aux salariés et garde le surplus pour lui. Là encore, il s’agit de conserver à l’Etat son rôle d’intermédiaire nécessaire entre les citoyens et l’accès aux ressources. Il conserve le monopole de l’offre d’emploi salarié et les moyens de choisir ceux qui, parmi les Cubains, auront la chance de se voir offrir un emploi auquel sera attaché un surplus de salaire en monnaie convertible offert par l’entreprise étrangère.

Certaines avancées sont parfois suivies de reculs ou perçues comme tels par la population. Des cinémas privés avaient commencé à fleurir : ils ont été fermés fin 2013. Les particuliers sont autorisés à acheter et vendre des voitures d’occasion depuis le début de 2014, mais les prix sont tellement élevés (plusieurs fois le prix de véhicules achetés en France), en raison des taxes, qu’elles sont inaccessibles. D’autres ouvertures sont très ciblées. Les avocats, les architectes, les médecins et les ingénieurs n’ont pas le droit de s’installer à leur compte, contrairement aux professions moins qualifiées.

L’ACCÈS À INTERNET CONTRÔLÉ

Cette obsession du contrôle se manifeste aussi dans l’accès à Internet. Pour l’instant, les particuliers n’y ont accès que par l’intermédiaire d’une grosse centaine de salles ouvertes à cet effet dans l’île, mais pas chez eux. Le gouvernement a laissé entendre qu’un assouplissement était envisagé, mais sans donner de détails.

Les dissidents reconnaissent des progrès, et en premier lieu le droit pour tout un chacun d’aller à l’étranger s’il en a les moyens. « Ces changements sont aussi une façon de faire tomber la pression sociale », relève le journaliste indépendant et écrivain Jorge Olivera.

Beaucoup estiment que, dans la vie quotidienne, les Cubains s’autorisent des récriminations en public contre les difficultés de la vie quotidienne avec un peu moins de craintes qu’auparavant. Mais ils soulignent également que le pouvoir prend bien soin de ne pas procéder aux réformes structurelles, « la première étant la réformede la propriété », souligne M. Cuesta Morua. M. Veiga plaide, lui, pour la création d’un « mécanisme de participation politique des citoyens ».

La répression de la dissidence fait elle aussi profil bas. Selon les opposants, il reste des prisonniers politiques (entre 70 et 80, selon leur décompte). Mais le pouvoir choisit aujourd’hui le plus souvent de ne plus condamner les récalcitrants à de longues peines de prison, qui ont la fâcheuse tendance d’attirer la réprobation internationale. Il préfère arrêter fréquemment les mécontents, puis les relâcher au bout de trois à quatre jours. « C’est la tactique du moustique : le harcèlement par de petites piqûres », résume M. Cuesta Morua, de facto interdit de sortir du territoire jusqu’à il y a peu par une obligation de se rendre toutes les semaines au poste de police.

Chacun a les yeux rivés sur 2018, terme officiel du mandat de Raul Castro. A ce moment-là, la « légitimité héroïque » des fondateurs de la révolution cédera la place. A qui ? A quoi ? Comment ? C’est toute l’interrogation à Cuba.

Cécile Chambraud, journaliste au Monde.

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