A Fortaleza, le match des BRICS

Les espoirs de la Seleçao ayant été anéantis, c’est un autre match qui doit être évoqué. Celui qui se déroulera deux jours après la finale de la Coupe du monde, le 15 juillet, à Fortaleza, dans le cadre du 6e sommet des BRICS. A défaut d’un succès en football, qui aurait bien arrangé la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, à quelques mois de l’élection présidentielle, celle-ci pourra montrer son rôle de niveau mondial, aux côtés de ses collègues dirigeants de la Russie, de l’Inde, de la Chine et d’Afrique du Sud.

Consacrée principalement à la question du développement, cette réunion abordera une fois encore la création de la « BRICS Bank », concurrente des institutions issues de Bretton Woods en 1944. Les BRICS considèrent qu’il est grand temps d’avoir une banque de développement pour les peuples des pays émergents, gérée par les pays émergents. Ils se font les porte-parole des pays en développement, principalement africains, pour exprimer trois reproches principaux à la Banque mondiale, malgré les réelles réformes de gouvernance en cours et la volonté sans faille de son nouveau président, Jim Yong Kim, d’en faire un outil efficace de lutte contre la pauvreté.

La première critique est la lourdeur et la lenteur des processus d’aide. Pour qui a monté un projet d’infrastructure lourd dans ces pays, c’est effectivement le cas. Mais c’est souvent une garantie de bonne fin face à certains opérateurs ou intermédiaires trop « volatils ». Est également visée la politique, pourtant très utile, de promotion du volet « responsabilité sociétale et environnementale » des projets de développement. C’est pourtant un aspect essentiel qui, profitant à l’ensemble des populations concernées, devra être tout autant promu par la BRICS Bank.

Le second reproche concerne « l’arrogance des riches ». Un ministre d’Afrique anglophone disait son « étonnement » – terme diplomatique – de lire dans les très sombres Perspectives économiques mondiales de la Banque mondiale, parues le 10 juin, la phrase suivante : « Il sera essentiel de dépenser plus judicieusement et non dépenser davantage. » « Il faut n’être jamais allé dans un quartier défavorisé de Lagos, Johannesburg ou Addis-Abeba pour écrire cela », s’indignait ce ministre. Ce même rapport insiste, comme toute la pensée dominante, sur le ralentissement de la croissance dans les émergents, ramenée de 5,3 % à 4,8 % pour cette année. Certes, c’est moins que prévu, mais faut-il rappeler que, dans le même temps, la croissance dans les pays de l’OCDE est attendue à 1,8 % ?

Troisième accusation, la domination des Etats-Unis sur la Banque mondiale et surtout le Fonds monétaire international (FMI). Les pays émergents considèrent que les pays développés – et principalement les Etats-Unis – ont une connaissance parfaite de leurs politiques économiques et monétaires, et qu’il s’agit là d’une intrusion inacceptable dans leur politique de souveraineté. C’est une posture au moins autant politique qu’économique, mais il s’y ajoute une considération plus financière, face au dieu dollar : il convient de mobiliser l’épargne locale dans les émergents, plutôt que de la voir partir sur des fonds en dollars ou francs suisses.

A Fortaleza, les BRICS pourraient bien marquer un but déterminant : la création effective de la BRICS Bank. Elle sera dotée dans un premier temps de 50 milliards de dollars (37 milliards d’euros). Ce n’est rien à côté des 370 milliards du FMI, mais le vrai enjeu des années à venir pour tous les pays émergents est d’assurer une croissance durable, qui profite au maximum à leurs habitants, en particulier dans deux domaines majeurs, l’énergie et la ville, pour lesquels le système de financement actuel est trop frileux ou poussif.

La Banque mondiale refuse quasi systématiquement tout projet de centrale électrique au charbon (même très peu polluante), y compris en Afrique, en invoquant la protection de l’environnement. Sauf que le charbon existe, qu’il est notamment produit en Afrique et que, pour les vingt ans qui viennent, il demeurera la principale source de production d’électricité dans le monde.

L’autre vrai sujet est dorénavant de faire face aux revendications des milliards d’habitants qui vont venir s’installer dans des villes-champignons sur les cinq continents. Rien qu’en Afrique, la population urbanisée passera de 500 millions aujourd’hui à 1,5 milliard dans trente ans. On compte aujourd’hui 3,3 milliards d’urbains (soit 50 % de la population mondiale), on en comptera 6,75 milliards (75 %) en 2050. La BRICS Bank veut accélérer les procédures de construction des infrastructures essentielles.

Petit instrument de cet énorme défi, la BRICS Bank se voudra plus manœuvrante et « pragmatique » que les institutions existantes. C’est pour cela que le match du 15 juillet à Fortaleza est plus important que celui du 13 à Rio de Janeiro, n’en déplaise aux amateurs de foot !

Gérard Wolf, président de BRICS Access.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *