A l’adresse de Monsieur Ignazio Cassis, au nom d’un jeune Palestinien

Jeune manifestant palestinien devant la barrière de sécurité entourant la bande de Gaza. Gaza, 25 mai 2018 © Khalil Hamra
Jeune manifestant palestinien devant la barrière de sécurité entourant la bande de Gaza. Gaza, 25 mai 2018 © Khalil Hamra

Ayant eu à me pencher sur le sort des Palestiniens dans mon domaine professionnel, j’ai imaginé la lettre qu’aurait pu écrire un jeune Palestinien en réaction aux propos de Monsieur Cassis sur l’Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNWRA).

«Monsieur le ministre, l’UNRWA serait, selon vous, plutôt le problème que la solution. Puis-je dès lors vous rappeler ce qui suit?

Mes ancêtres ont vécu dans la Palestine sous tutelle britannique et ont été les témoins de la vague d’immigration suscitée par le mouvement sioniste et alimentée par les brimades et les persécutions dont les juifs furent victimes dans de nombreux pays. Se sentant envahis, ils se sont opposés à cette immigration dont la justification reposait sur le mythe – tous les historiens sérieux le reconnaissent – du retour du «peuple juif» dans la terre de ses ancêtres. L’opposition des Palestiniens est restée sans écho, les puissances occidentales étant peu enclines à mettre en doute la justification de ce moyen de canaliser l’antisémitisme qui sévissait chez eux. Des arrangements furent même conclus entre le mouvement sioniste et l’Allemagne nazie à ses débuts et c’est l’occasion pour moi de préciser que je hais toute forme de racisme et que je ne m’associe en rien à ceux que leur hostilité à l’égard d’Israël pousse à minimiser l’horreur absolue de la politique d’extermination ensuite mise en place.

Après le «nettoyage ethnique»

Les Britanniques, qui géraient le territoire avant tout en fonction de leurs propres intérêts et d’accords conclus avec la France, avaient soutenu l’immigration juive jusqu’à ce que l’ampleur prise par celle-ci et la révolte croissante des Palestiniens à son égard les incitent à lui fixer des limites. Les mouvements sionistes extrémistes se retournèrent alors contre ceux qui les avaient soutenus et commirent à l’encontre des forces anglaises des actions terroristes qui poussèrent les Britanniques débordés à passer le relais à l’ONU naissante. Celle-ci approuva la création de l’Etat d’Israël dans une résolution qui préconisait un partage entre deux Etats et l’internationalisation de Jérusalem. L’adoption de celle-ci fut entourée de manœuvres douteuses et tous les Etats arabes s’y opposèrent, mais l’Etat d’Israël est néanmoins devenu une réalité vivante et dynamique: il serait vain de le remettre en cause et je ne le fais pas. Israël dut se battre pour son nouveau territoire mais il procéda également à un «nettoyage ethnique», détruisant 500 villages et expulsant 750 000 Palestiniens, sans réaction d’Etats occidentaux sous le choc du génocide dont les juifs avaient été victimes et aveuglés par le double mensonge du slogan «une terre sans peuple pour un peuple sans terre».

J’ai abandonné tout espoir de retrouver la terre de mes parents, les Etats puissants ne s’opposant en rien à la logique applicable nulle part ailleurs que ceux qui ont été expulsés il y a 70 ans n’ont aucun droit à un retour sur leur terre alors qu’on le reconnaît à tous ceux dont on prétend que les ancêtres ont été poussés à l’exil il y a près de deux millénaires. Je me suis alors raccroché à l’idée d’un Etat palestinien et du partage de Jérusalem. J’avais 8 ans en 2003 et je me souviens que mes parents avaient retrouvé un peu d’espoir grâce à l’Initiative de Genève, soutenue par votre pays: des hommes de bonne volonté essayaient concrètement de dessiner les contours d’un Etat palestinien et de définir les modalités de sa coexistence avec Israël. Que cela paraît pourtant lointain. Je n’ignore pas les querelles stériles entre Palestiniens mais c’est bien le développement sans retenue des colonies israéliennes qui a fait fondre le petit espoir que j’avais encore de voir deux Etats se côtoyer pacifiquement.

Grâce à l’UNRWA

J’ai reçu une bonne éducation grâce à l’UNRWA et je ne veux pas sombrer dans le nihilisme, mais je sens bien que le désespoir de n’avoir aucune perspective fait monter toujours plus autour de moi la haine et la tentation de la violence. Puis-je dès lors, Monsieur le ministre, vous prier de faire preuve d’un peu d’empathie? Que serait aujourd’hui votre attitude si les Italiens avaient envahi votre petit canton du Tessin, rasé ses villages, expulsé vos grands-parents et que vous vous trouviez dans un camp sans aucune perspective d’avenir? Que répondriez-vous à ceux qui vous diraient: le problème, c’est le camp? Votre compatriote Pierre Krähenbühl fait tout ce qu’il peut pour préserver un minimum de qualité à notre vie et il se bat pour réunir pour ce faire des sommes pourtant dérisoires en comparaison des budgets militaires: les Etats peinent à comprendre que l’UNRWA reste une des seules barrières contre la tentation de la violence qui s’empare de la jeunesse palestinienne.

Je ne crois plus en grand-chose et serais prêt à m’intégrer n’importe où. Mais qui veut de moi? J’ai entendu parler en Suisse d’une initiative contre l’immigration massive et je ne pense pas que votre pays soit disposé à m’accueillir avec une dizaine de milliers de Palestiniens?

Vous ai-je convaincu que l’UNRWA n’est pas le problème? Je l’espère d’autant plus que nous avons un point d’accord: ce n’est pas non plus la solution. Mais vous l’avez, vous, la solution?

Yves Sandoz est professeur honoraire de droit international humanitaire.

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