A l’Est, il y a du nouveau !

Les clichés ont la vie dure. Idem en politique européenne, où l’opposition entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est résiste toujours au cours de l’histoire. Près de vingt-huit ans après la chute du Mur de Berlin, trop nombreux sont celles et ceux qui n’ont pas intériorisé la fin de la division Est/Ouest. Quitte à les brusquer un peu, ne faudrait-il pas leur rappeler que Vienne, l’Autrichienne, est géographiquement plus orientale que ne l’est Prague, la Tchèque ?

Comme si la Guerre froide n’avait toujours pas disparu de leurs esprits, nombre de ressortissants européens raisonnent toujours avec des schémas d’antan qui ne correspondent plus à la réalité. Il en est de même pour la soi-disant « ex-Allemagne de l’Est » qui, jusqu’à la preuve du contraire, demeure l’Allemagne de l’Est, soit le territoire de la feue RDA.
A l’exemple de maints observateurs et spécialistes de la chose européenne, ces mêmes personnes ont à leur corps défendant une image d’une Europe encore divisée, sachant que les pays contributeurs de l’Ouest continuent de financer, la Pologne en tête, les pays receveurs de l’Est. Ainsi, l’Europe occidentale des riches semble toujours faire face à celle orientale des pauvres. Quoique partiellement exacte, cette dichotomie ne saurait ni perdurer, ni servir de grille de lecture pour mieux comprendre l’Union européenne de demain.

Appelée à se réformer dans les mois et années à venir, l’UE sera confrontée à des changements institutionnels dont « l’Europe de l’Est » ne sera pas épargnée. Passées les élections au Bundestag, l’Allemagne ne pourra plus ignorer la proposition française d’une gouvernance de la zone euro. Bien que rétive à l’accepter, elle devra lâcher du lest, aussi par fidélité au tandem franco-allemand que le Président Macron désire relancer pour relancer, à son tour, l’Europe.
Qu’elle prenne la forme « d’un gouvernement économique » ou celle « d’un parlement », voire celle « d’un Ministre des Finances », la zone euro va inévitablement se politiser. Concernant par définition tous les pays qui ont adopté la monnaie unique, elle constituera un nouvel échelon, situé entre une Union à vingt-sept et « un noyau dur européen ». Bien que peut-être souhaitable dans son principe, l’entrée en vigueur de ce denier demeure pourtant encore hypothétique à court ou à moyen terme.

Cinq États, de ce que l’on ne dénomme plus guère les PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale), membres de l’UE depuis 2004, feront par conséquent partie de cette zone euro beaucoup plus politique : les trois pays baltes, la Slovaquie et la Slovénie. Si les trois premiers font déjà bande à part, jouissant de bons résultats économiques, d’un voisinage à leur avantage avec la Scandinavie et d’un contexte géopolitique particulier à la frontière avec leur ennemi de toujours, la Russie, le cas de la Slovénie et surtout celui de la Slovaquie méritent une plus grande attention.

Alors que la Slovénie, autrefois membre de la Yougoslavie, se trouvera inéluctablement dans une situation beaucoup favorable que ne le seront la Croatie ou d’autres pays des Balkans, candidats à l’adhésion à l’UE, la Slovaquie aura pour principal atout d’être le seul État du « groupe de Višegrad » à faire partie de ce nouvel ensemble politique. D’ailleurs, son Premier ministre Robert Fico ne s’y est pas trompé. Souvent apostrophé de « populiste de gauche », ce social-démocrate, que l’on pourrait aussi désigner d’atypique, a compris l’opportunité que la politique européenne d’Emmanuel Macron pourrait lui procurer. Prêt en contrepartie à trouver un compromis sur l’épineux dossier des « travailleurs détachés », il sait que cette concession pourrait lui attribuer un rôle majeur et une place d’interlocuteur privilégiée au sein de cette nouvelle configuration politique.

Faisant d’une pierre deux coups, Robert Fico gagnera en notoriété européenne ce qu’il aura perdu en image de leader quelque peu démagogue. Doté d’une réelle respectabilité internationale, il devra néanmoins tenir compte des prochaines élections tchèques qui ne laissent guère entrevoir un ancrage pro-européen. En revanche, il aura réussi à créer une brèche au sein dudit « Groupe de Višegrad », également appelé V4, où plus que jamais les gouvernements nationalistes de Varsovie et de Budapest auront, par leur propre faute et leur propre volonté, fait l’impasse sur une nouvelle étape de l’intégration européenne.

Si l’UE devait bouger et instaurer une direction de la « zone euro », les conséquences seraient alors plus politiques qu’économiques. Tous les États membres de l’Union européenne en subiraient les retombées, négatives pour certaines, positives pour les autres. Quelques pays de l’Europe centrale semblent l’avoir compris, d’autres non, preuve qu’à l’Est, il y a du nouveau !

Gilbert Casasus est professeur ordinaire en Études européennes auprès de la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg.

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