A peine élu, Léon XIV prononce des paroles aux antipodes de l’esprit vengeur qui semble avoir saisi les Etats-Unis

Au lendemain de son élection, le pape Léon XIV prononce sa première messe dans la chapelle Sixtine du Vatican, le 9 mai 2025. HANDOUT / AFP
Au lendemain de son élection, le pape Léon XIV prononce sa première messe dans la chapelle Sixtine du Vatican, le 9 mai 2025. HANDOUT / AFP

Si l’Esprit saint a vraiment inspiré les cardinaux de ce conclave, qui n’ont pas traîné à choisir le « meilleur d’entre eux », on peut dire qu’il a stoppé net la désorientation et les incertitudes qu’on leur prêtait, en même temps que nos spéculations les plus savantes. Son « messager » arrive concomitamment aux violentes prémices d’un inquiétant conflit entre l’Inde et le Pakistan. Il s’exprime au mitan de deux jours d’une commémoration d’armistice, célébrée dans la division et le révisionnisme historique. Enfin, à peine élu, le nouveau pape prononce certes des paroles aux antipodes de la fureur de l’époque, mais aussi aux antipodes de l’esprit vengeur qui semble avoir saisi son pays de naissance.

Il n’a échappé à personne que ce pape était américain, avec un nom de famille français et des ancêtres italiens et espagnols. Il est né dans l’Illinois, cette terre ancienne où l’influence catholique a précédé la recolonisation anglaise, l’incorporation dans l’Union et les vagues de migration européenne. Comment ne pas considérer comme frappante cette concordance ? Le cardinal Prevost devient le premier pape venu des Etats-Unis, au moment précis où son pays semble dévaler la pente des inimitiés intérieures et de la démoralisation internationale. Comme aurait dit le premier pape polonais de la guerre froide, Jean Paul II, difficile de ne pas y voir « un signe des temps ».

En effet, en un petit discours, Léon XIV a réarticulé la priorité des priorités des catholiques autour de l’axe à la fois ardu et simplissime de leur foi : vivre la paix en eux et la transmettre, entre eux et autour d’eux, comme un antidote collectif et fécond pour un monde détraqué, qui fabrique à la pelle de la discorde mortelle.

Enrôlement politique national-trumpien

La première des paix est donc, pour ce nouveau pape, dès ses premières paroles, celle qui règne entre catholiques : « Tous unis pour être un seul peuple [de Dieu] toujours dans la paix. (…) Prions ensemble pour cette nouvelle mission, pour toute l’Eglise. » On peut entendre ces appels comme un message à peine subliminal aux catholiques américains dont la fracture apparente contamine les autres Eglises occidentales. L’importance du catholicisme américain en matière d’influence, jamais assez soulignée, fait qu’ils polarisent aussi les autres espaces catholiques.

Résorber la fracture qui les travaille, à l’image de leur société, est devenu une urgence : car le camp des anti-François, qui risque de devenir le camp des anti-Léon, se considère comme une citadelle assiégée. Ce camp se défend contre des forces ennemies qui auraient pénétré l’Eglise et la dirigeraient, comme elles auraient pénétré et dirigeraient leur société, voire le monde occidental. ll y a deux manières pour ces catholiques américains d’entendre le message du nouveau pape. Soit penser que, dans la lignée de François – ce « pape woke », selon l’ancien député européen Philippe de Villiers –, Léon XIV va achever de dénaturer l’Eglise, les obligeant à continuer sur leur lancée schismatique. Soit réviser dans la douleur leurs priorités, en se désintoxiquant d’un prisme cognitif et affectif identitaire, antagoniste et répressif qui ne correspond pas à leur histoire.

Il leur faudrait surtout questionner l’enrôlement politique « national-trumpien », dénigreur et raciste, qu’ils ont adopté comme libérateur depuis une dizaine d’années parce qu’en échange il aurait permis de rechristianiser la loi et les institutions et arrêterait l’immigration. Un enrôlement qui produit une personnalité aussi clivante et brutale que J. D. Vance, mettant en scène sa foi catholique pour justifier sans nuance la politique intérieure et internationale de son pays, jusque devant le parterre médusé de ses auditeurs à la Conférence de Munich sur la sécurité.

Il est certain que la personnalité du nouveau pape, sa vie, ses engagements pastoraux sont l’exemple vivant que l’enfermement progressif des catholiques blancs américains dans une sorte d’exagération mauvaise de nationalisme et de populisme n’est non seulement pas une fatalité, mais aussi pas du tout originel. Léon XIV est polyglotte, il a vécu comme missionnaire puis comme évêque au Pérou, il a pris la nationalité péruvienne. Il a bataillé concrètement pour que le Pérou accueille les flux de réfugiés vénézuéliens, quand ils ont quitté par millions leur pays pour ne pas littéralement mourir de faim.

Universalisme de conviction

Quand Léon XIV dit que les catholiques doivent chercher ensemble à être « une Eglise qui construit des ponts, qui dialogue, toujours ouverte pour recevoir (…) tous ceux qui ont besoin de notre charité, de notre présence, de notre dialogue et de notre amour », il incarne lui-même cette forme de passerelle vivante entre pays et entre continents. Il incarne en un mot une forme d’universalisme de conviction à opposer aux impérialismes nationaux qui violent les frontières tout en construisant des murs. Et c’est ce qui a été considéré comme la priorité la plus urgente par les cardinaux du conclave.

Aussi, la nouvelle orientation « politique » de l’Eglise catholique semble avoir été annoncée : être prioritairement axée autour de la paix comme une force « désarmée (…), désarmante, humble et persévérante », pas simplement du point de vue de sa diplomatie traditionnelle, mais aussi en demandant aux catholiques de s’engager collectivement dans cette cause par tous les moyens. Ce qui signifie trouver les moyens de dénoncer ensemble et d’agir au-delà des frontières nationales, contre les logiques d’affrontements impérialistes que nous voyons se déployer, contre le retour de la prédation territoriale et le déni du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, contre l’irrespect patent du droit international et du droit humanitaire.

Le dénoncer, y compris quand la logique est suscitée depuis les Etats-Unis par un gouvernement qui se dit chrétien et crée un « bureau de la foi » et autre commission de la liberté religieuse en se transformant en bunker. Il s’agit de le faire du point de vue des populations civiles qui subissent les violences d’Etat et celles des groupes et réseaux criminels. Pour finir, il n’est pas douteux que ce nouveau pontificat va s’investir et investir les catholiques dans la cause du désarmement généralisé… Autant de sujets qui ne sont pas du tout MAGA (Make America Great Again).

Blandine Chelini-Pont est historienne à Aix-Marseille Université. Elle est l’autrice, avec Valentine Zuber, de Géopolitique des droits humains. L’universalisme mis au défi (Le Cavalier bleu, 2024).

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