A quand la fin de l'impunité pour les meurtriers d'humanitaires ?

Trois ans. Trois ans déjà que nos 17 collègues, salariés locaux d'Action contre la faim, ont été mis à genoux et fusillés, le 4 août 2006, dans l'enceinte de nos bureaux de Muttur, au Sri Lanka. Ces assassinats constituent le crime le plus important en nombre commis contre des humanitaires ; il se définit légalement comme un des actes les plus graves qui existent : le crime de guerre.

Depuis trois ans, Action contre la faim se bat pour obtenir justice pour ces 17 personnes qui n'avaient qu'un seul objectif : venir au secours des populations au coeur de la guerre civile. Trois procédures d'enquête ont été ouvertes. La dernière s'est conclue, au mois de juillet, sans indiquer la moindre piste de responsabilité, comme les autres.

Entre-temps, le plus vieux conflit d'Asie s'est officiellement terminé. Cependant, aujourd'hui, beaucoup de Sri-Lankais sont toujours regroupés dans des camps. Ils ne savent pas quel sera leur avenir. Ils préfèrent ne pas former l'espoir d'une réconciliation, après trente-sept ans d'une guerre fratricide.

L'absence de justice dans l'affaire de Muttur ne fait que creuser le ressentiment des familles des victimes face à une enquête qui, loin de tendre vers la justice, a tout fait pour s'en éloigner. Faut-il rappeler les cinq changements de juridiction, les trois remplacements de juges, une scène de crime non protégée, une absence de protection des témoins... La liste est longue des manquements au droit qui confinent au déni de justice.

Ces faits sont déjà bien connus de Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Avant de prendre ses fonctions gouvernementales, il faisait partie du groupe indépendant d'experts internationaux chargés d'observer le déroulement des enquêtes menées par la Commission présidentielle d'enquête sri-lankaise et leur conformité avec les standards internationaux. Dans Le Monde du 15 mars 2007, il définissait ainsi sa mission : "Une mission quasi impossible ! (...)Notre mission est une goutte d'eau, mais une goutte d'espoir."

Oubliera-t-il cet espoir, et l'Etat français qu'il représente avec lui ? Espoir pour toutes les victimes sri-lankaises qui n'ont pas obtenu justice ; espoir de faire passer les besoins de justice et de paix avant la Realpolitik ; espoir pour tous les travailleurs humanitaires qui sont de plus en plus nombreux à mourir chaque année dans l'impunité totale ; espoir enfin pour le respect du principe fondateur de l'humanitaire : l'humanité.

Face à l'ampleur du drame de Muttur, Action contre la faim, en tant que victime et en tant qu'organisation humanitaire française, avait demandé l'aide de la France et de l'Union européenne. Mais, passée l'indignation première, la France, depuis trois ans, a peu agi. Dans une communication officielle de juin 2008, M. Kouchner affirmait ainsi qu'"à la demande d'ACF, nous allons explorer avec nos partenaires internationaux la possibilité de mettre en place une commission d'enquête internationale". Où en est-on ?

Depuis plusieurs mois, la France a souhaité ne pas prendre position dans l'attente des résultats de la Commission présidentielle sri-lankaise. Cette commission vient de se conclure sur un échec.

Il est maintenant urgent de mettre réellement en place une enquête internationalisée qui, seule, sera capable de faire toute la lumière sur ce meurtre atroce et de redonner un espoir, qui fait aujourd'hui cruellement défaut. En cette journée du 19 août, la première consacrée aux travailleurs humanitaires, ACF renouvelle son appel pour que soit enfin mis un terme à l'impunité qui entoure le meurtre de ses collègues.

Denis Metzger, président d'Action contre la faim.