À quoi sert le Forum de Davos ?

Le Forum économique mondial qui se tient chaque année à Davos en Suisse a toujours été problématique. Mais, depuis quelques années, cette réunion annuelle de riches et puissants se transforme de plus en plus en exhibition futile. À quoi servent tous ces jets privés, ces hôtels de luxe et ces coupes de champagne si cela ne conduit à rien de plus qu’à s’affliger de l’état du monde et à de vagues promesses pour faire face aux nombreux défis mondiaux ?

En préalable à la réunion de cette année qui a eu lieu cette semaine, le Forum mondial a élaboré une fois de plus un programme ambitieux, avec pour thème central « la coopération dans un monde fragmenté ». Les organisateurs reconnaissent que le « monde se trouve aujourd’hui à un point d’inflexion crucial » et que le « simple nombre des crises en cours appelle à une action collective audacieuse ».

Besoin massif de dépenses publiques

Les nombreux dirigeants politiques et grands patrons qui participent à ces rencontres sont en effet en mesure de prendre des mesures concrètes en faveur de la coopération et du changement. C’est pourquoi, avec 29 autres membres de la Commission de l’économie transformationnelle du Club de Rome, j’ai signé une lettre ouverte appelant les participants du Forum à se joindre à nous pour réclamer une augmentation des impôts des plus riches.

Cette demande est motivée par le besoin urgent d’atténuer les pires effets du changement climatique et de prévenir l’instabilité sociale. L’année dernière, la Commission de l’économie transformationnelle a publié un livre, La Terre pour tous, qui propose un plan d’action pour éliminer la pauvreté, réduire les inégalités, donner plus de pouvoir aux femmes, transformer les systèmes alimentaires et revoir la production d’énergie en basculant vers les énergies renouvelables.

Réaliser ces transformations fondamentales exige une augmentation massive des dépenses publiques qui passe par une hausse de l’impôt sur les sociétés et sur les contribuables les plus fortunés. Les banques centrales et les banques de développement peuvent contribuer à l’effort financier nécessaire, mais cela ne suffira pas. Soutenir la transition écologique, assurer les protections sociales et le bien-être de tous, et garantir les investissements du secteur privé supposent d’augmenter les recettes fiscales.

Payer la juste part

À travers le monde, la plupart des systèmes fiscaux sont obsolètes et régressifs. De ce fait, ils ne peuvent ni fournir les recettes nécessaires ni veiller à ce que les riches paient leur juste part. De même, les lois ne reconnaissent pas les innombrables manières dont les sociétés et les particuliers fortunés peuvent échapper à l’impôt et elles ne prennent pas en compte la façon dont la mondialisation financière permet aux entreprises de transférer leurs bénéfices et leurs actifs vers les pays à faible fiscalité. Au lieu de s’attaquer à ces failles juridiques, les États s’appuient beaucoup trop sur la fiscalité indirecte, comme la TVA qui frappe de manière disproportionnée les pauvres. Au cours des dernières décennies, ces inégalités systémiques ont entraîné un déclin massif de la richesse publique et une énorme concentration de la richesse privée. Elles ont également contribué à l’explosion des inégalités, comme le montre le dernier «Rapport sur les inégalités dans le monde ».

Il n’est cependant pas trop tard pour changer de cap. Dans notre lettre aux participants de Davos, nous proposons plusieurs mesures pour remédier à l’effondrement des systèmes fiscaux et assurer un avenir durable en taxant la richesse, les revenus et les bénéfices des entreprises, ainsi que les émissions excessives de gaz à effet de serre et l’exploitation de la biosphère par les personnes les plus riches. Voici ces mesures en quelques mots :

– Demander aux États de développer et partager leurs registres nationaux des actifs. Ils pourront alors taxer plus facilement les personnes extrêmement riches, même si elles cachent leur fortune dans des paradis fiscaux.

– Imposer les revenus du capital pour rendre les systèmes fiscaux plus progressifs.

– Appliquer un taux minimum mondial d’imposition des sociétés de 25 % (ce qui est proche de la moyenne mondiale) et une imposition unitaire basée sur les ventes, l’emploi et les actifs des multinationales. Cela affaiblirait les incitations des entreprises à déplacer leurs bénéfices vers les pays à faible fiscalité.

– Taxer les bénéfices exceptionnels dans tous les secteurs, en particulier ceux réalisés en période de pénurie et de spéculation. Cela aurait un effet redistributif.

– Taxer les émissions de carbone et la consommation de la biosphère liées à des activités de luxe et supprimer progressivement toutes les incitations fiscales liées à l’utilisation des combustibles fossiles.Ces propositions de bon sens n’ont rien de nouveau. Les sondages montrent que l’opinion publique est très majoritairement favorable à une augmentation des impôts pour les riches et qu’il en est de même pour toute une partie de ces derniers. Ainsi, l’année dernière, une centaine de millionnaires et de milliardaires ont signé une lettre appelant à « une taxe modérée sur la richesse » sur les 1 % des Américains les plus riches. Ils y soulignent que les inégalités extrêmes peuvent générer instabilité politique et violence. Depuis, d’autres ont émis des appels du même genre. Mais un changement significatif suppose une volonté politique. Aussi, le temps est-il venu pour les participants et les organisateurs du Forum de Davos, des personnes très influentes, de justifier leur coûteuse célébration de la richesse. Ils doivent mettre tout leur poids au service d’une fiscalité plus équitable.

Par Jayati Ghosh, professeure d’économie à l’Université du Massachusetts à Amherst et membre du Conseil consultatif de haut niveau de l’ONU sur un multilatéralisme efficace. Traduction : Patrice Horovitz.

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