A quoi servent les sanctions contre l’Iran?

L’embargo sur les importations de pétrole iranien et les sanctions contre la Banque centrale iranienne prononcés par les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, le 24 janvier dernier, sont intervenus après plusieurs semaines de fièvre galopante impliquant l’Iran, Israël et les Etats-Unis: manœuvres militaires iraniennes dans le golfe Persique, menace de Téhéran de fermer le détroit d’Ormuz, tests de missile menés avec ostentation par les Israéliens, meurtre d’un scientifique nucléaire iranien et innombrables déclarations politiques envisageant la possibilité, et parfois même la nécessité, de procéder à des frappes militaires contre l’Iran.

Les propos les plus modérés sont avant tout venus de la part de ceux qui connaissent les conséquences de la menée d’une guerre: ainsi, le chef des services secrets israéliens a fait comprendre que l’Iran représentait, certes, une menace pour Israël, mais non un danger existentiel. Le secrétaire américain à la Défense a parlé des suites fâcheuses que pourrait entraîner une attaque militaire israélienne et le chef d’état-major américain s’est rendu en Israël afin de prévenir une action militaire non concertée et, du point de vue des Etats-Unis, non souhaitée, contre l’Iran. Dans le même temps, le président Obama et son secrétaire à la Défense Leon Panetta ont cependant tracé deux lignes rouges dont le franchissement par Téhéran serait susceptible de déclencher des actions militaires de la part des Etats-Unis: le blocage effectif du détroit d’Ormuz et la fabrication d’une arme atomique.

Ces déclarations ont plutôt été le signe d’une détente de la situation que celui d’une nouvelle escalade dans la confrontation, montrant que Washington désire éviter, autant que possible, un conflit militaire. De l’avis des Américains, il suffit pour l’heure qu’eux-mêmes en particulier, mais aussi l’Union européenne et leurs autres amis et alliés, durcissent leurs sanctions à l’égard de l’Iran et suspendent – ou, pour le moins, limitent – leurs importations de pétrole iranien pour empêcher Téhéran de développer le volet militaire de son programme nucléaire et pour sanctionner les infractions aux obligations découlant des résolutions du Conseil de sécurité.

Les sanctions constituent bel et bien un des pans de l’action diplomatique qui peuvent amener les gouvernements à infléchir leur politique. Nous disons bien: «peuvent», car si les sanctions ont toujours quelque effet, elles ne font habituellement qu’affaiblir l’Etat visé et ne déclenchent que beaucoup plus rarement le virage politique souhaité. D’une manière générale, les gouvernements concernés sont plus enclins à changer leur politique si de telles mesures sont prises par l’ensemble de la communauté internationale, ou du moins par ses membres les plus importants. Les sanctions doivent en outre être suffisamment claires, c’est-à-dire qu’elles doivent expliquer pourquoi une politique – ou le comportement d’un Etat, d’une société ou d’un dirigeant – est aussi durement visée. Mais les sanctions qui visent un régime en tant que tel afin de le faire tomber ou de le forcer à abdiquer échouent dans presque tous les cas. Cuba en est l’exemple le plus durable. Enfin, toutes les sanctions devraient s’inscrire dans un contexte politique et diplomatique plus large en venant compléter, et non remplacer, un effort politique visant à une résolution pacifique des différends.

Cet effort incombera avant tout aux Européens, notamment à l’Allemagne, à la France et à la Grande-Bretagne. Le gouvernement Obama n’y fera pas obstacle mais se gardera bien de donner l’impression, en ces temps de campagne électorale hautement polarisée, d’avancer trop activement dans la direction de Téhéran.

De nouveaux efforts diplomatiques ne seraient nullement voués à l’échec. Le gouvernement iranien, considérant les sanctions européennes à venir et souhaitant, bien entendu, éviter leur mise en œuvre, a accepté de nouvelles négociations avec le groupe «3+3» (Etats-Unis, Russie, Chine et, du côté européen, France, Grande-Bretagne et Allemagne) ainsi que de nouvelles inspections de ses installations par une délégation des autorités nucléaires internationales (AIEA). C’est un signal positif qui devrait être exploité.

Bien sûr, il ne suffira pas d’une ou deux tables rondes pour régler le conflit nucléaire avec l’Iran: la défiance mutuelle est trop forte pour cela et les positions respectives trop éloignées l’une de l’autre. Il serait totalement illusoire de s’attendre à ce que l’Iran, ainsi que le Conseil de sécurité l’a exigé dans ses résolutions, renonce complètement à l’enrichissement d’uranium.

Car en Iran aussi, la politique étrangère est avant tout une politique intérieure. Au printemps prochain se tiendront les élections parlementaires et, à l’été 2013, l’élection présidentielle; aucun des candidats ne veut courir le risque de se voir reprocher d’avoir courbé l’échine devant les Occidentaux. Par conséquent, même si des négociations sérieuses se tiennent, il est probable qu’il n’en sortira que des solutions provisoires accompagnées d’éventuelles mesures de détente militaire.

On pourrait imaginer un processus progressif qui définirait ce qu’on attend des Iraniens pour que soient levées certaines sanctions ou qu’elles ne soient pas mises en œuvre. Par exemple, si l’Iran cesse d’enrichir de l’uranium à 20%, les Etats-Unis et l’Europe pourraient abandonner l’embargo sur le pétrole et les sanctions financières. En fin de compte, une levée complète des sanctions prononcées par le Conseil de sécurité est actuellement aussi peu vraisemblable que l’arrêt de toutes les activités d’enrichissement iraniennes. En outre, il serait judicieux de renouer avec l’idée d’un échange de combustible dans le cadre duquel l’Iran fournirait ou vendrait de l’uranium moyennement enrichi à la Russie ou à la France en échange, ou contre paiement, de barres de combustible pour son réacteur de recherche médicale. Un tel accord ne constituerait certes pas une grande avancée, mais il pourrait frayer la voie à de futures négociations et éloigner quelque peu la menace du développement à des fins militaires du programme nucléaire iranien.

Ces dernières semaines ont montré à quel point le danger de malentendu est important, les navires de guerre américains et iraniens opèrent dans certaines zones à proximité immédiate les uns des autres. Il est nécessaire – et tout à fait concevable – d’adopter des mesures simples destinées à renforcer la confiance. Dernièrement, un navire américain a sauvé une douzaine de pêcheurs iraniens retenus en otage par des pirates somaliens: cet événement pourrait inciter les Etats concernés à fixer quelques règles fondamentales en matière de prise de contact afin d’éviter des incidents regrettables en haute mer.

Volker Perthes is Director of the German Institute for International and Security Affairs.

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