A Rome, ville pagaille, trois clowns...

Personne n’aurait pu imaginer que, dans une capitale où d’habitude il ne se passe pas grand-chose, entre fin février et début mars, se déroulent simultanément deux événements exceptionnels et révolutionnaires. Bizarrerie du destin, les Romains peuvent voir deux grands films «politiques» hautement spectaculaires : la création ultraproblématique d’un nouveau gouvernement, et le plus incertain des conclaves. Quels beaux sujets pour des comédies satiriques à l’italienne ; dommage que les maîtres du genre (Pietro Germi, Mario Monicelli, Dino Risi, Elio Petri, Luig Comencini) ne soient plus là. A moins que Nanni Moretti ne nous surprenne avec une nouvelle version de son prophétique Habemus Papam ; titre conseillé du film : «Courage fuyons !».

Ces élections sont sûrement les plus bizarres et inquiétantes de l’après-guerre. Comme l’a dit un politicien allemand, non sans raison, deux «clowns» - un menteur professionnel sans scrupule, et un ex-acteur radical d’esprit soixante-huitard - ont mis en crise une gauche trop confiante. Ces résultats fort inattendus (le parti de Beppe Grillo - une sorte de Coluche enragé - représente un troisième pôle révolutionnaire entre gauche et droite) vont rendre très difficile la formation d’un nouveau gouvernement. L’Europe s’inquiète : mais la situation est-elle si grave ? Les Italiens, c’est connu, donnent le meilleur d’eux-mêmes quand ils sont dos au mur. Ces derniers jours, le pape rinunciatario (celui «qui a fait le grand refus», comme l’écrit Dante de Célestin V) a volé la vedette à Berlusconi et Grillo ! Les médias se sont jetés sur celui que les Romains appelaient, non sans ironie «le pasteur allemand» ; rien ne nous a été épargné sur son départ.

Journaux et télévisions ont insisté péniblement sur le (présumé) côté «douloureux» de la décision, comme si, en quittant le pouvoir, Sa Sainteté avait affronté une sorte de martyre. On Lui a tout pardonné, même son impardonnable «lâcheté» (prendre la fuite, au lieu de se battre pour réformer une Eglise menacée par les scandales.) Sa silhouette blanche, son visage rassurant de grand vieillard («quelle trouvaille sa mèche soigneusement peignée», me disait le cinéaste Risi) ont envahi les murs de la capitale. Tel un saint protecteur (un clown blanc ?), il a fini par voler la vedette aux deux clowns de la politique ! Rien de vraiment «douloureux» dans ce départ triomphal provisoire à Castel Gandolfo. On sait que, après le conclave, on Lui a réservé une délicieuse maisonnette sur la verte colline du Vatican. Et si son «grand refus» était un réel coup de maître ? Quant à Grillo, le pape terriblement intransigeant des «grillini», il est revenu à sa première passion : «foutre la pagaille !». «ll y a un Mao en lui», aurait dit l’acteur Paolo Villaggio, son concitoyen de Gênes. En 1982, dans l’Imposteur, une jolie fable ironique de Comencini, Grillo, jeune acteur barbu, interprétait le rôle d’un Christ anonyme d’aujourd’hui : un vrai révolutionnaire, déjà ! La vie copie l’art.

Par Aldo Tassone, Historien du cinéma

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