A six mois de l’Euro 2016, sortons de la politique de l’autruche en matière de sécurité

La France s’apprête à accueillir dans six mois le championnat d’Europe des nations de football dans un contexte anxiogène. A cette occasion, vingt-quatre équipes s’apprêtent à disputer 51 matchs du 10 juin au 10 juillet dans dix villes. Ce qui se veut être une fête du football, à l’instar de la Coupe du monde 1998, s’annonce comme un véritable cauchemar sécuritaire.

En effet, pour la première fois le Stade de France a été ciblé par des terroristes le 13 novembre 2015. Depuis, l’état d’urgence a été instauré et, dans ces circonstances, le ministère de l’intérieur a interdit aux supporteurs des équipes visiteuses de se déplacer à l’occasion des matchs de Ligue 1 et de Ligue 2 durant les deux semaines qui ont suivi ces attaques. Ce fait a été accueilli avec compréhension par les groupes de supporteurs organisés, qui se sont montrés exemplaires dans leur comportement.

Aucun débordement n’a été signalé de la part des associations de supporteurs ultras, régulièrement mises à l’index par les autorités. Au contraire, ceux qui coordonnent l’animation des tribunes ont multiplié les expressions de solidarité en réalisant de nombreuses scénographies et messages pour témoigner de leur empathie envers les victimes des attentats. Ces actions symboliques et spectaculaires témoignent, dans la dialectique du supportérisme ultra, si souvent décriée pour son jusqu’au-boutisme, de la cohésion de la nation au-delà de ses divergences culturelles, politiques et sportives.

Dispositif disproportionné

Pourtant, il semble que les pouvoirs publics demeurent sourds à ces messages. Sans concertation avec les acteurs de terrain, sous couvert de protection des sécurités publiques, l’Etat prolonge les interdictions de déplacements pour mieux concentrer les forces de l’ordre à des tâches prioritaires. Ce faisant, ces arrêtés vont à l’encontre des propos du président de la République lors de l’hommage national du 27 novembre : «  Nous continuerons à aller dans les stades (…) et nous pourrons aussi communier dans les mêmes émotions, en faisant fi de nos différences.  »

Cette «  jeunesse d’un peuple libre  », comme l’affirme François Hollande, semble de moins en moins libre à mesure que les arrêtés se succèdent les uns après les autres et ce jusqu’à l’absurde, empêchant les supporteurs marseillais de se rendre à Bourg-en-Bresse pour une rencontre de Coupe de France le 16 décembre. Sous prétexte de sécurité, l’Etat mobilise une centaine de policiers durant deux jours à Ajaccio pour empêcher quatorze fans du FC Nantes de se rendre à la rencontre Ajaccio-Nantes le 5 décembre. Ils sont interpellés sur le tarmac de l’aéroport ajaccien par une compagnie de CRS à la veille du match.

Le 11 décembre, il en est de même à Paris, où plusieurs dizaines de supporteurs lensois, dont une femme de 63 ans, sont interpellés à l’extérieur du stade. De nouveau un dispositif disproportionné de forces de l’ordre est présent, alors qu’à l’intérieur de l’enceinte des centaines de fans lensois sont présents mais sans leurs couleurs, ce qui ne les empêche pas de se manifester.

Enfin, il est intéressant de noter qu’un supporteur interdit administrativement de stade à Saint-Etienne a dû se présenter à 59 reprises au commissariat de sa ville en dix mois (du 11 juillet  2014 au 23 mai 2015), alors qu’une personne suspectée d’intentions terroristes l’a fait à 52 reprises en une année. Le fait de classer sur les fiches S (pour «  atteinte à la sûreté de l’Etat  ») certaines catégories de fans n’est-il pas un détournement des missions de l’Etat, qui doit consacrer ses moyens à des missions autrement plus prioritaires  ?

«  Tous coupables  » sans discernement

L’amalgame a depuis longtemps été fait par les médias, mais aussi par les autorités pour ne pas distinguer les différentes catégories de supporteurs  : fans, ultras et hooligans ne forment qu’un tout, que l’on ne veut pas différencier, à l’image de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), qui ne voit que des déviants potentiels au sein de chaque foule sportive. Pourtant les bonnes volontés existent de part et d’autre, comme le montrent les actes de l’Association nationale des supporteurs (ANS), qui, dans un contexte difficile, a entrepris le chemin du dialogue et de la concertation, construisant un réseau crédible et disposant d’une expertise sur le sujet, ou encore le secrétaire d’Etat aux sports, Thierry Braillard, qui a reconnu le rôle essentiel des supporteurs et commencé des échanges avec eux.

Malgré cela, certaines autorités sportives, comme l’Union des clubs professionnels de football (UCPF) et la Ligue de football professionnel (LFP), restent aux abonnés absents. Le président de la LFP, Frédéric Thiriez, qui prône la transparence, la rigueur et le dialogue dans une lettre ouverte le 9 décembre, souligne que les «  supporteurs (…) participent, chacun dans leur rôle, au succès quotidien du football et méritent une égale considération  ». Pourtant celui-ci ne daigne pas répondre à leurs sollicitations qui visent à établir un dialogue sérieux et constructif.

La rigueur n’est pas de mise non plus lorsque la commission de discipline de la Ligue ferme une tribune de 15  000 personnes, à la suite de jets de trois bouteilles, de quelques pétards et d’un fumigène sur le terrain lors de Marseille-Lyon le 20 septembre. Le principe du «  tous coupables  » est alors appliqué sans discernement.

Enfin, le gouvernement démontre sa cécité en appliquant uniquement la politique du bâton, multipliant les interdictions de déplacement depuis la loi dite Loppsi II du 14 mars 2011 (de trois arrêtés lors du championnat 2011-2012 à trente-neuf en 2014-2015) et les menaces de dissolution administrative pour les groupes contestataires.

«  L’âme du football professionnel  »

Selon Michel Platini, le président de l’UEFA  : «  Les supporteurs constituent l’âme du football professionnel  » et l’instance qu’il dirige a mis en place des exigences relatives aux responsables de l’encadrement des supporteurs (RES) pour mener un dialogue permanent avec les associations de fans. La France est l’un des rares pays en Europe à ne pas appliquer les directives de l’UEFA, obligatoires depuis la saison 2012-13. Notre pays n’a aucune politique préventive en la matière. De plus, le niveau de notre championnat s’affaiblit considérablement et les investissements dans les stades des dix villes organisatrices sont considérables.

Pour ne pas avoir des cathédrales dans le désert, il faut associer la composante indissociable de ce sport que sont les supporteurs pour réfléchir au développement du football. Il est également nécessaire de mener une véritable politique de prévention en intégrant les différents acteurs, comme les supporteurs ultras et les interlocuteurs qui disposent d’une expertise sur le sujet, aussi bien académiques, qu’associatifs, comme l’ANS.

Qu’en sera-t-il, lorsque les dizaines de milliers de fans européens se rendront en France lors de l’Euro 2016  ? Faudra-t-il rétablir les contrôles aux frontières, jetant ainsi ce qu’il reste de l’espace Schengen aux oubliettes  ? Empêcher les partisans des sélections nationales potentiellement à risques de se déplacer  ? Aucun pays d’Europe ne dispose de la solution miracle pour lutter contre la violence dans les stades, mais la politique de l’autruche est la pire de toutes. Il est plus que temps d’établir un modèle, pour préparer au mieux la fête du football que doit être l’Euro et démontrer par des actes que tous, nous continuerons d’aller au stade, lieu de vie et de lien social.

Sébastien Louis est historien et spécialiste du supporteurisme radical en Europe. Il a contribué au rapport de l’Unesco sur le racisme dans le football (novembre 2015).

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