A Taïwan, la formule chinoise “un pays deux systèmes” est un repoussoir

A Taïwan, à la veille d’un double scrutin présidentiel et législatif au suffrage universel à un tour, les sondages prédisent une réélection confortable de la présidente sortante, Tsai Ing-wen. Sa formation, le Parti démocrate progressiste (DPP en anglais), s’oppose à toute forme d’unification avec la Chine, sans pour autant chercher à proclamer l’indépendance de l’île, afin de préserver l’indépendance de fait de ses 23,5 millions d’habitants. Dès lors, Pékin n’a pas ménagé ses efforts pour entraver son premier mandat – en suspendant tout dialogue avec Taipei, en restreignant de 22 à 15 le nombre déjà étique des alliés diplomatiques de Taïwan, en accroissant ses manœuvres militaires dans le détroit de Formose –, comme pour favoriser le retour au pouvoir de la principale formation rivale, le Parti nationaliste (Kuomintang, KMT), qui demeure attaché à une unification à long terme.

Avec la défaite sans appel du DPP aux élections locales de 2018, la réélection de Mme Tsai paraissait ardue. Or sa remontée dans les sondages s’expliquerait par le repoussoir que représente la formule « un pays, deux systèmes », resservie avec insistance par le président chinois Xi Jinping aux autorités taïwanaises au début de 2019 et contestée sans interruption depuis sept mois à Hongkong, où elle est déjà opérante. Pour Pékin, il n’y a d’autre communauté de destin pour Taïwan et Hongkong que celle du continent chinois.

En fait, jusqu’à présent, ces marches insulaires n’ont guère eu en partage que l’expérience coloniale, britannique dans le cas de Hongkong (1842-1997), japonaise dans le cas de Taïwan (1895-1945), celle-ci s’étant en outre prolongée par la monopolisation autoritaire du pouvoir par le régime nationaliste exogène réfugié sur l’île après sa défaite face aux communistes en 1949. Au-delà de la colonisation, l’historicité singulière de chaque territoire avait entravé toute forme de solidarité entre leurs courants démocratiques respectifs.

Forte de la normalisation sino-américaine de 1978, scellant l’isolement diplomatique de Taipei, la politique de réunification pacifique offerte concomitamment par Deng Xiaoping aux Taïwanais leur promettait, grâce à la formule inédite « un pays, deux systèmes », une autonomie au sein de la République populaire de Chine (RPC), seul Etat appelé à demeurer souverain sur la scène internationale. Dans le même mouvement, cette formule-clé de la réunification sous-tendait le lancement de la politique de réformes et d’ouverture dans la mesure où sur le continent, divers « systèmes » étaient déclinés, au sein de zones économiques spéciales dans un premier temps, pour attirer des capitaux taïwanais et hongkongais. Rejetée par le gouvernement nationaliste, encore crispé sur sa prétendue légitimité à représenter l’ensemble de la Chine, la formule fut aussitôt proposée au gouvernement Thatcher venu négocier en 1982 la rétrocession de sa colonie : Londres pouvait s’en satisfaire puisque le maintien du « système » devait durablement protéger les intérêts commerciaux et financiers des Britanniques.

Pas d’ingérence dans les affaires des voisins

De fait, dans l’Etat dit de droit légué par le colonisateur britannique, la loi n’était pas l’expression de la volonté générale. La spécificité de Hongkong, son « système », résidait dans la garantie des libertés fondamentales mais sans régime représentatif de la population locale. Or, alors que la rétrocession avait déjà été scellée, l’élan de solidarité suscité dans la colonie par le massacre de Tiananmen en 1989 a hâté la formation tardive de clivages partisans, sans toutefois engendrer la convergence des intérêts dits locaux propre à toute décolonisation : les milieux d’affaires ont transféré leur allégeance vers le pouvoir central chinois, tandis qu’une opposition démocratique a d’emblée lié la démocratisation de Hongkong à celle du continent, sans formuler par conséquent de revendications indépendantistes. Mais, désormais, lors des mouvements récurrents de contestation, la demande d’instaurer le suffrage universel n’est pas sans nourrir une aspiration à l’indépendance.

A Taïwan, tout au contraire, la démocratisation, débutée en 1987 par l’aile réformiste du Parti nationaliste, a acté l’indépendance de l’île en recentrant un régime représentant fictivement l’ensemble de la Chine sur le seul électorat insulaire appelé à se prononcer régulièrement au suffrage universel. En cherchant à coexister, en tant qu’Etat souverain – même non reconnu –, aux côtés de la RPC, les autorités taïwanaises, quelle que soit la formation au pouvoir, se sont par là même interdit toute ingérence dans les affaires intérieures de leurs voisins, chinois et hongkongais notamment. Pour autant, le spectre partisan taïwanais s’est noué autour des futures relations avec la Chine, les deux principaux partis recouvrant l’alternative entre un refus de renoncer à l’unification si les institutions chinoises se démocratisaient (pour le KMT) et un refus de renoncer à l’indépendance de jure si la Chine levait toute menace militaire (pour le DPP). Si ce clivage a pu favoriser l’ingérence du pouvoir chinois dans les scrutins insulaires, tout laisse penser que celle-ci sera contre-productive samedi 11 janvier. En effet, plus les forces démocratiques hongkongaises se tourneront vers le système taïwanais, plus l’électorat taïwanais rejettera la formule-clé de la réunification nationale.

Françoise Mengin est directrice de recherche au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po. Elle a notamment publié Trajectoires chinoises. Taiwan, Hong Kong et Pékin (Karthala, 1998).

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