Accord UE-Corée du Sud : « Bruxelles enclenche une procédure de protection des travailleurs »

C’est une première : la Commission européenne a enclenché le 17 décembre 2018 la procédure de règlement des différends prévue au chapitre Commerce et développement durable (CDD) de l’Accord de libre-échange (ALE) entre l’Union européenne (UE) et la Corée du Sud, un chapitre dont la fonction est notamment d’assurer la protection des droits des travailleurs. Bruxelles reproche en effet à Séoul de ne pas respecter ses engagements en la matière, et la procédure permettra de faire le point sur cette question de droit. Surtout, le traitement de ce contentieux permettra de juger de l’efficacité des mécanismes prévus au sein des chapitres CDD pour protéger les travailleurs, et ce à la veille de possibles négociations entre l’UE-27 et le Royaume-Uni sur le futur de leurs relations commerciales.

L’ALE UE-Corée du Sud, entré en vigueur en 2011, est le premier accord commercial conclu par l’UE qui inclue un chapitre commerce et développement durable. Outre la fixation de certains standards en matière de droit du travail, ce chapitre contient une procédure de règlement des différends en cas de contentieux entre les parties contractantes. C’est cette procédure que la Commission a enclenchée. Elle formule deux plaintes à l’encontre des autorités sud-coréennes.

Premièrement, elle leur reproche de ne pas se conformer à l’obligation de « respecter […] dans leurs lois et pratiques, les principes concernant les droits fondamentaux [au travail] ». Bruxelles s’en prend plus précisément à plusieurs lois adoptées par Séoul qui violeraient « la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective ». Deuxièmement, la Commission reproche à son partenaire de ne pas avoir ratifié quatre conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui ont notamment trait à la liberté d’association et à l’abolition du travail forcé, et cela en dépit de l’obligation de déployer « des efforts continus et soutenus en vue de procéder à la ratification des conventions fondamentales de l’OIT ». Face à cette double accusation, Séoul devrait évoquer d’une part son droit souverain de réglementer en matière de législation sociale, et d’autre part le fait que la non-ratification des conventions visées n’entraîne pas ipso facto une violation de l’obligation en question.

Place importante donnée au dialogue

La procédure de règlement des différends prévue par l’ALE est caractérisée par la place importante donnée au dialogue, et par l’absence de mécanismes de sanctions pour non-respect des obligations. La procédure débute en effet par une phase de concertations entre les parties. Si après 90 jours de dialogue celles-ci n’ont pas réussi à résoudre le litige qui les oppose, elles peuvent alors demander l’établissement d’un groupe d’experts. Ce groupe dispose à son tour de 90 jours pour émettre un rapport faisant l’analyse du contentieux et, le cas échéant, présentant certaines recommandations pour le redressement de la situation litigieuse. Mais aucun mécanisme spécifique n’est prévu en cas de non-exécution par la partie défaillante des recommandations formulées par le groupe d’experts.

En enclenchant la phase de concertations, la Commission met donc à l’épreuve son modèle de règlement des différends en matière de commerce et de développement durable. Ce premier test devrait délivrer de précieux enseignements sur la capacité réelle des mécanismes prévus au sein de ces mêmes chapitres à protéger les travailleurs.

Evaluation approfondie

Au moins trois éléments mériteront une évaluation approfondie au terme de cette procédure. Premièrement, si le contentieux se développe jusqu’au stade du groupe d’experts, il sera intéressant d’analyser leurs commentaires se rapportant à la formulation des obligations au sein du chapitre commerce et développement durable. Celles-ci ont en effet été critiquées pour leur caractère relativement imprécis et peu clair. Deuxièmement, on pourra observer l’attitude adoptée par la potentielle partie défaillante à l’encontre des recommandations présentées dans le rapport. Acceptera-t-elle de se soumettre aux conclusions du groupe, malgré l’absence de sanctions l’y contraignant ? Enfin, si la procédure n’atteint pas le stade du groupe d’experts, il sera malgré tout intéressant d’analyser la nature du compromis conclu par les parties au terme de la phase de concertations et de l’évaluer à l’aune de la protection des droits des travailleurs.

Les enseignements tirés du litige opposant l’UE à la Corée du Sud pourraient déjà être mis à profit lors des possibles négociations entre l’UE-27 et le Royaume-Uni sur le futur de leurs relations commerciales. La proximité géographique, la taille des marchés et la similarité des activités économiques déployées de part et d’autre de la Manche mettent en effet nombre de leurs industries en concurrence directe. Dans ce cadre, le risque d’utilisation du droit du travail comme levier pour améliorer la compétitivité d’une économie et le danger de course au moins-disant social que cela engendre doivent être traités avec le plus grand sérieux. Les chapitres commerce et développement durable ont été conçus pour répondre à ces menaces. Cette première activation de la procédure de règlement des différends permettra de vérifier leur efficacité pour mieux protéger les travailleurs, qu’ils soient sud-coréens, ressortissants de l’UE-27 ou du Royaume-Uni.

Thibaud Bodson est chercheur à la Freie Universität Berlin et à la Hebrew University of Jerusalem, spécialiste des droits économiques et sociaux.

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