Affirmer que l’OTAN est en phase d’affaiblissement est une incorrection historique

Depuis l’édition 2025 de la Conférence de Munich sur la sécurité, les événements diplomatiques qui se succèdent autour des enjeux sécuritaires européens constituent-ils une rupture historique ? Dans ce débat nécessaire, trois réalités déterminantes méritent d’être rappelées.

La première est qu’il y a peu d’orientations de la nouvelle administration à la Maison Blanche que la communauté stratégique européenne puisse faire mine de découvrir. Candidat, Donald Trump ne se cachait pas, et il déroule à présent un programme fondé sur de solides convictions et l’expérience d’un premier mandat au cours duquel il s’est dit empêché. C’est par ailleurs un homme âgé, pressé, qui aimerait imprimer sa marque dans l’histoire. Or, il a déjà fait l’expérience de plusieurs échecs : échec de la dénucléarisation de la Corée du Nord ; échec de la pression maximale contre l’Iran ; échec du lancement d’un processus trilatéral stratégique de contrôle des armes avec la Chine et la Russie. Parmi les éléments qui animent le comportement de Donald Trump – un imprévisible va-et-vient d’entêtement et de versatilité – figure le désir d’être un homme d’Etat.

La deuxième réalité est que les responsables européens savent depuis plus de quinze ans qu’il leur faut progresser vers l’autonomie stratégique du continent. Le risque de découplage des intérêts de sécurité américains et européens est présent depuis, au moins, la crise des euromissiles à la fin des années 1970. Dans les années 1990, il s’est ensuite précisé avec la crise de vocation de l’OTAN. La réorientation de l’engagement américain vers l’Asie-Pacifique a enfin eu lieu à la fin de la décennie 2000, sous la présidence Obama (2009-2017). Si une inflexion se confirme avec l’administration Trump II, elle ne prend personne de cours. L’inscrire dans une continuité n’implique pas de minimiser l’ampleur du virage que le pouvoir exécutif américain est en train de prendre.

Pic d’anxiété normal

La troisième réalité est que l’ampleur du désengagement américain reste indéterminée. Plusieurs illustrations nuancent en effet le phénomène : le décret « Iron Dome » pris par le président, le 27 janvier, consacre une section entière au financement de nouveaux systèmes de défense antimissile pour les pays alliés – ce volet partenarial a d’ailleurs surpris jusqu’aux opposants de l’équipe en place. Il ne faut pas non plus craindre une suspension du processus massif de modernisation des forces nucléaires pour plus de 750 milliards de dollars au cours des dix prochaines années, car il est doté d’une forte inertie qui donne crédit à la dissuasion élargie. Le nouveau secrétaire américain à la défense, Pete Hegseth, l’affirmait d’ailleurs à Bruxelles, le 12 février : « Les Etats-Unis restent attachés à l’alliance de l’OTAN et au partenariat de défense avec l’Europe. Point final. » Cet attachement – certes du bout des lèvres – ne doit pas lever un vent de panique.

Que le débat sur notre sécurité se porte à un tel pic d’anxiété est cependant normal : menée par une équipe inculte, inexpérimentée, sûre d’elle et nourrie par une idéologie délétère, la politique étrangère et de défense de la principale puissance mondiale gifle l’Europe stratégique par sa teneur et par son rythme. L’OTAN reste cependant une alliance militaire dont la puissance est telle qu’elle dissuade la Russie de s’en prendre à l’un des pays membres : c’est l’un des principaux enseignements de la guerre en Ukraine.

Le renforcement des forces conventionnelles de l’Alliance est en outre en cours. Deux nouveaux Etats l’ont rejointe (Suède et Finlande, dont les budgets de défense montent en flèche depuis 2023). L’augmentation des budgets de défense est un indicateur qui progresse dans tous les pays membres de l’OTAN (l’augmentation du budget britannique à 2,5 % du PIB, dès 2027, annoncée par le premier ministre, Keir Starmer, le 25 février, en est l’illustration la plus récente), avec huit Etats qui n’ont pas encore atteint l’objectif de 2 % de leur PIB, mais vingt et un qui l’ont dépassé.

La modernisation des forces stratégiques des trois pays qui participent au premier chef de sa dissuasion progresse : outre les Etats-Unis déjà cités, le Royaume-Uni disposera d’une nouvelle flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de classe dreadnought au début de la prochaine décennie et le budget annuel que la France consacre à la dissuasion nucléaire a doublé pour en moderniser les composantes océanique et aérienne, aux fins de les rendre plus rapides, plus précises, plus furtives. A ce jour, affirmer que l’OTAN est en phase d’affaiblissement est donc une incorrection historique.

Esprit de défense retrouvé

Les conditions d’arrêt des hostilités en Ukraine sont l’enjeu le plus urgent que le sommet de Londres a eu à traiter, dimanche 2 mars, avec une détermination collective remarquable, mais la sécurité européenne n’en relève qu’en partie. D’une part, celle-ci reste soumise à d’autres facteurs exogènes : la force de la résistance ukrainienne, jusqu’ici exceptionnelle ; la mise à mal des manœuvres d’influence contre le corps social européen ; la constitution de la Turquie comme un pilier oriental de notre sécurité.

D’autre part, la sécurité de l’Europe dépend de facteurs endogènes majeurs : la participation renouvelée du Royaume-Uni à la sécurité continentale, la normalisation historique de la défense en Allemagne (financer un effort de défense « spécial » fut la priorité formulée par le futur chancelier, Friedrich Merz, dès le 24 février), la montée en force de nouvelles puissances telles que la Pologne ou les pays scandinaves, l’imprégnation des mentalités par un esprit de défense retrouvé. C’est la combinaison de ces facteurs dans le temps qui permettra de diagnostiquer un renforcement durable.

Déplorer que l’architecture de sécurité en Europe soit en miettes était un slogan des années 2010 pour générer un élan collectif. La décennie 2020 est celle des efforts et des sacrifices. La brutalité de l’administration Trump, dont témoigne le cirque sinistre imposé à Volodymyr Zelensky, le 28 février, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, en est l’aiguillon.

Benjamin Hautecouverture est politiste, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique.

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