Affronter le réel pour vaincre les obscurantismes

Aucune société n’est immunisée contre la barbarie: fleurs aux couleurs du drapeau français, après l’attentat de Nice © AFP
Aucune société n’est immunisée contre la barbarie: fleurs aux couleurs du drapeau français, après l’attentat de Nice © AFP

Cet été, les événements douloureux se sont enchaînés, provoquant un sentiment de pessimisme et d’oppression difficilement supportable. L’attentat de Nice a transformé le 14 juillet en horreur, la guerre en Syrie se poursuit, la conjoncture s’essouffle en Chine, le réchauffement climatique se renforce et le Brexit fragilise l’Union Européenne. Même en y ajoutant le drame des réfugiés en Méditerranée, les bruits de bottes en Ukraine et le putsch avorté en Turquie, la liste des calamités anxiogènes de l’été 2016 reste incomplète.

Les deux tentations qui nous guettent

Face à cette situation, chacun subit deux tentations. La première consiste à se couper d’internet, de la télévision et de la presse, puis à se replier sur sa vie privée, en espérant éviter les catastrophes à Charmey ou à Erstfeld. S’il peut être temporairement salutaire sur le plan psychologique, ce refoulement est en réalité une démission.

La seconde, c’est le repli national. Dans un monde interconnecté, ce repli reste forcément symbolique: promotion des chemises à Edelweiss, interdiction de la burqa, retrait de la demande d’adhésion à l’UE, mouvements de menton nationalistes. En fait, le réel ne permet pas à la Suisse de s’isoler, car elle est au cœur du continent dont elle partage à la fois les turbulences et les succès. En somme, le repli national n’est que la version agitée et publique du repli privé. Emblématique, l’incapacité des promoteurs du Brexit d’articuler la moindre stratégie de mise en œuvre illustre le caractère purement symbolique de leur démarche.

Détruire deux fantasmes

A terme, céder à l’une de ces deux tentations est dangereux. Au contraire, la recherche de sécurité exige d’affronter les problèmes, ce qui implique de détruire deux fantasmes. Le premier tente de maintenir une distinction structurelle entre politique intérieure et politique extérieure. Désormais, l’imbrication est totale. Le phénomène migratoire en offre l’illustration parfaite: les peurs se développent à l’intérieur, mais ses déterminants sont à l’extérieur. Pour éviter que des centaines de milliers de personnes veuillent traverser la Méditerranée à tout prix, il faut contribuer à améliorer durablement leurs conditions de vie sur place.

Le second fantasme consiste à croire que seules les politiques réduites à l’échelon national, voire cantonal sont efficaces. Au contraire, c’est le développement de règles équitables et solides dans de vastes espaces qui protège les habitants. Ainsi, l’isolement du Royaume-Uni n’améliorera pas les conditions de vie des populations déshéritées du nord de l’Angleterre. De même et a contrario, l’ouverture économique n’amène de prospérité partagée que si des règles communes excluent le dumping salarial et environnemental.

Nos démocraties sont challengées

Nos démocraties, nées et consolidées dans les frontières de l’Etat-nation, sont toujours plus challengées par la dimension internationale. Or, la prise de décision à ce niveau exige encore la plupart du temps l’unanimité des Etats concernés. Cette exigence est paralysante. De plus, elle ne s’obtient qu’en faisant jouer les rapports de forces internationaux, soit souvent l’inverse du droit et de la démocratie.

Pour relever les défis à venir, le développement d’organisations internationales fortes est incontournable. D’où un dilemme pour les Etats: pour avoir une chance de voir leurs problèmes traités, ils doivent céder des prérogatives à des échelons plus vastes, au détriment du niveau national. Une telle équation ne peut se résoudre que par l’augmentation de la légitimité et de la capacité décisionnelle des organisations internationales. Autrement dit, il convient de quitter peu à peu le principe de l’unanimité, pour adopter de vrais usages démocratiques, ce qui requiert un parlement doté de compétences législatives.

Sur notre continent, c’est évidemment l’Union Européenne qui chapeaute les nations. Mais pour l’instant, même si son Parlement n’a cessé de voir son rôle renforcé, elle souffre d’un décalage entre l’immensité des attentes à son égard et la nature limitée des prérogatives que les Etats lui ont cédées.

L’obscurantisme religieux et politique

Le chemin est ardu! De nombreux courants démagogiques surfent sur le climat anxiogène pour prêcher le repli national et entraver la mise en place des coopérations internationales nécessaires. Cet été, il était frappant de voir combien l’obscurantisme religieux et l’obscurantisme politique s’alimentent réciproquement pour renforcer la peur et la paralysie des consciences. Le sommet de cette perversion est atteint quand l’obscurantisme politique prétend nous protéger des menaces que l’obscurantisme religieux fait peser sur les droits humains.

En réalité, seule une lutte quotidienne, sereine et rationnelle contre les pulsions régressives protégera nos libertés et notre prospérité. Dans cette optique, l’affaiblissement des médias de qualité et l’explosion de l’immédiateté populiste sur les réseaux sociaux ne facilitent guère la compréhension et le traitement des questions politiques.

Aucune société n’est immunisée contre la barbarie

A l’évidence, aucune société n’est immunisée contre la barbarie. Si les citoyens choisissent le cocooning ou le repli national, la montée des obscurantismes politiques et religieux s’accélérera, avec la violence pour conséquence. Toutefois, après le vote sur le Brexit, une lueur d’espoir apparaît. Dans de nombreux pays, on observe un gain de popularité de l’UE.

L’opinion publique serait-elle en train de comprendre qu’une déconstruction de l’UE rendrait encore plus difficile le traitement des crises actuelles? La conscience du risque de chaos remplacera-t-elle peu à peu les pulsions régressives? Au terme d’un été noir, l’acceptation d’un monde interconnecté, l’attachement à une démocratie fondée sur le droit, le retour de discours politiques honnêtes et le travail sérieux sur des problèmes complexes sont les meilleurs moyens d’espérer un avenir plus lumineux.

Roger Nordmann, Conseiller national, Président du Groupe socialiste de l’Assemblée fédérale

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