Afghanistan – Pakistan, demain, la guerre !

Grâce à l'aide internationale, un Etat afghan plus puissant émerge et devient, dès lors, capable de développer ses propres stratégies de puissance. Influencé par ses élites militaires, il entend se doter d'une armée à même de contrecarrer l'influence pakistanaise sur ses marches orientales. La coalition internationale qui le soutient se doit d'étudier sans naïveté ses ambitions régionales.

SOMMES-NOUS EN TRAIN D'ARMER LES AFGHANS CONTRE LE PAKISTAN ?

Si vous demandez à un officier afghan quel est son ennemi, il vous répondra sans ambages… "Le Pakistan". Cette réponse surprenante pour nous occidentaux, m'a été souvent rapportée lors de mon récent déploiement en Afghanistan au sein de la mission de formation de l'OTAN, NTMA. Ne pouvait-on s'attendre à ce que le rebelle taliban figure en pole position ? Après six mois passés au milieu des élites militaires afghanes, cette réponse ne surprend plus. Elle traduit leur perception de leur environnement géopolitique et le rôle régional qu'elles veulent pour cet Afghanistan renforcé par l'action internationale.

Engagée depuis 2001 dans l'équipement, la formation et le soutien de l'armée afghane, la coalition occidentale ne se leurre-t-elle pas sur ses réelles ambitions stratégiques ? Ne risque-t-elle pas de se retrouver piégée en modifiant le fragile équilibre régional dans cette zone d'influence partagée entre l'Inde et le Pakistan ? Comment le soutien de la France dans le domaine de la formation sera-t-il jugé par l'Histoire si demain éclate au grand jour le conflit larvé, et largement passé sous silence, que se livrent l'Afghanistan et le Pakistan ? Fidèles à la devise de la coalition en Afghanistan, l'ISAF, "Shona ba Shona", coude à coude avec les Afghans, certes mais vers où, vers quoi ? Grâce à l'aide de l'ISAF, un Afghanistan plus puissant émerge et devient, dès lors, capable de déployer ses propres stratégies de puissance. Influencé par ses élites militaires, il entend se doter d'une armée capable de contrecarrer l'influence pakistanaise sur ses marches orientales. La coalition internationale qui le soutient se doit d'étudier sans naïveté ses ambitions régionales. Levons donc le voile sur les tensions autour de la ligne Durand avant de livrer quelques éclairages sur les ambitions afghanes et de s'interroger sur le risque de compromission pour la coalition occidentale.

Affrontements autour d'une frontière non reconnue Au sud-est de l'Afghanistan se déroule une guerre larvée contre le Pakistan. Cet enjeu m'a continuellement été présenté comme 'Le' problème stratégique des Afghans. Tout d'abord, un bref rappel des enjeux actuels autour de la ligne Durand s'impose. Frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan, non reconnue par ceux-ci à ce jour, elle divise artificiellement une zone à majorité pashtoune, à cheval sur les deux Etats, parfois dénommée Pashtounistan. L'Afghanistan et le Pakistan sont aujourd'hui en lutte contre les Talibans qui trouvent en ces zones un refuge, une forme de soutien logistique voire des capacités d'entraînement. L'attitude du Pakistan vis-à-vis des chefs talebs dans cette région a été au cours de l'histoire récente pour le moins ambiguë. En effet, pour se garantir une profondeur stratégique vis-à-vis de l'Inde, il lui était nécessaire de soutenir le régime des étudiants en religion, maîtres de Kaboul de 1996 à 2001.

Ainsi se garantissait-il une zone de repli hors de ses frontières en cas de déclenchement des hostilités avec son voisin. Aujourd'hui, en revanche, l'alliance du Pakistan avec les Etats-Unis mais aussi les risques de déstabilisation générale issus des zones tribales requièrent, parfois, de réelles opérations de guerre contre les chefs talebs locaux. Ces affrontements avec les rebelles menés par chacun des deux Etats sont propices aux dénonciations de violations territoriales, réelles ou supposées. Combattre de part et d'autre d'une frontière aux contours mal définis et non reconnus peut, en effet, comporter sa part d'aléas, erreurs topographiques, ou quelques manœuvres sournoises de l'ennemi, s'abritant à proximité d'un poste frontière.

Evidemment l'emploi de tirs d'artillerie peut également s'accompagner de son lot de dommages collatéraux et donc, parfois, de pertes civiles qui exacerbent le besoin d'une réaction au moins politique. Les atteintes régulières contre le territoire afghan par l'armée pakistanaise ont, par exemple, entraîné fin juin - début juillet 2011 la décision d'un déploiement d'unités blindées et mécanisées afghanes. A Kaboul, la mise en alerte de ces unités nous a quelque peu surpris tant les relations politiques entre les deux pays semblaient au beau fixe avec notamment la conclusion récente d'accords commerciaux.

La naissance d'une ambition afghane…anti-pakistanaise Soutenue par la coalition internationale, l'armée afghane, l'ANA, favorise l'émergence d'une Nation. Elle en devient le réel outil de puissance tout en étant capable d'en orienter les positions stratégiques. On ne peut évidemment écarter d'un revers de manche la complexité de la quasi  "géopolitique interne" du pays. Elle en limite évidemment actuellement la portée des stratégies étatiques. L'Afghanistan demeure, il est vrai, profondément marqué par ses rivalités ethniques et tribales ainsi que par le poids des seigneurs de guerre locaux. Toutefois, l'armée afghane que nous construisons aujourd'hui entretient un réel brassage ethnique. Elle contribue aussi à l'alphabétisation du pays et fait de la fierté de servir son pays, et non plus son clan, la valeur supérieure. Ces dynamiques permettront au pouvoir central à Kaboul de disposer sous peu, et sans doute, pour la première fois de son histoire, d'un symbole de sa puissance et de son unité nationale.

Quelle stratégie régionale développera-t-il alors ? "Si une guerre devait avoir lieu entre le Pakistan et les Etats-Unis nous soutiendrions le Pakistan", déclarait début octobre 2011 le président Hamid Karzaï. Malgré le vieil adage "Mon frère et moi contre mon cousin. Mon frère, mon cousin et moi contre l'Etranger…", et ce ton des plus catégoriques, je ne puis m'empêcher de douter. Plusieurs officiers qu'il m'a été donné de rencontrer nourrissent, en effet, des rancoeurs autrement plus tenaces. Entretenant une antipathie forte contre le Pakistan, l'ANA se prépare actuellement davantage à une guerre classique interétatique qu'à la lutte contre une insurrection. Les demandes d'équipement formulées par les autorités afghanes reflètent l'ambition de se doter d'une armée puissante : développer une composante blindée ou disposer d'avions de combat de type F16. Ces requêtes peuvent bien évidemment sembler légitimes quand on connaît la situation sécuritaire du pays mais elles m'ont été plus fréquemment justifiées par le besoin de répondre à une agression pakistanaise que par la chasse au taliban.

Certes, ces aigreurs vis-à-vis du Pakistan sont principalement, mais pas exclusivement, ressenties par des officiers issus de la minorité tadjike, les officiers pashtounes faisant quant à eux preuve de davantage de retenue. Les premiers disposent toutefois aujourd'hui de nombreux postes militaires à haute responsabilité. Au cours de discussions informelles, plusieurs de ces officiers se sont, ainsi, souvent ouverts de leur haine ou, à tout le moins, du sentiment de défiance qu'ils nourrissaient contre le Pakistan. Le soutien pakistanais aux talibans explique, selon eux, en grande partie la longévité du conflit actuel. Le taliban lui-même est bien souvent décrit comme le frère ou le cousin d'hier et donc de demain.

Le 4 octobre dernier, l'Inde et l'Afghanistan ont signé un accord de partenariat stratégique. Leur alliance vient clairement prendre en tenaille le Pakistan. Elle n'est pas qu'une coquille vide puisque l'Inde contribue depuis peu au budget de formation de l'ANA et se propose de former dans ses écoles d'officiers des cadets afghans. Le Pakistan y perd sa profondeur stratégique et y gagne la menace d'un deuxième front en cas d'affrontement avec l'Inde.

La coalition en porte-à-faux… La coalition internationale est intervenue en Afghanistan voici près de dix ans avec pour objectif de priver AL QAIDA de son soutien en faisant de l'Afghanistan un pays stable. Elle s'engage depuis au quotidien au côté des forces armées afghanes. Cet appui nous lie dès lors indéniablement à leurs décisions. L'ISAF, assure, en effet, actuellement, dans le cadre de la mission NTMA, l'équipement, la formation et le conseil ou "mentoring" de l'ANA. Ce soutien se traduit, tout d'abord, par la fourniture directe de matériel aux Afghans par le biais d'achats d'armements financés essentiellement par les Etats Unis ou cession de matériel à titre gratuit. La coalition internationale fournit donc, en grande partie, à l'Afghanistan son outil de puissance. Des formateurs interviennent ensuite en appui de l'instruction des unités. La France est, dans ce cadre, responsable de l'école de cavalerie et est chargée entre autre de l'entraînement des unités de réaction rapide afghanes, garde d'élite équipée de matériel moderne.

Notre pays est également impliqué dans la formation des officiers notamment celle des officiers supérieurs, en fournissant la majorité des conseillers de l'école d'Etat major et du Centre des Hautes Etudes Militaires afghan. Les officiers français s'attachent évidemment à écarter certains scénarios d'entraînement proposés par les instructeurs afghans qui font trop ouvertement état d'une agression Pakistanaise… Enfin, les bureaux du ministère de la Défense afghan sont "mentorés" par des officiers de la coalition. Ceux-ci conseillent au quotidien les Afghans dans leurs méthodes de travail et cherchent à développer leurs compétences. Ces coopérants militaires seront évidemment considérés comme partie prenante à toute décision des autorités afghanes.

Sans prétendre avoir sondé l'âme d'un peuple, ce court séjour en Afghanistan fût l'occasion de m'interroger sur les conséquences d'une intervention décidée en 2001 avec des objectifs clairs, la chute du régime taliban, la lutte contre le réseau Al Qaida et l'émergence d'un Afghanistan stable. Dix ans plus tard, la coalition poursuit toujours ce noble but "shona ba shona" mais ne doit pas se leurrer sur les ambitions afghanes à moyen et plus long terme. Alors que nous cherchons aujourd'hui à définir les contours de notre partenariat stratégique avec l'Afghanistan après 2014, date annoncée du retrait de nos troupes, notre engagement au côté du "pays des braves" ne peut s'affranchir d'une étude sans naïveté de ses ambitions régionales.

Par David Pawlowski, stagiaire à l'Ecole de guerre.

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