Les Afghans ont voté. Courageux. Ces élections n’ont cependant pas résolu le problème que posent les talibans et le terrorisme. C’est le moment de se demander ce qui est réellement en jeu dans cet Afghanistan où nos soldats risquent leur vie. Un affrontement entre le Bien et le Mal comme le prétendait George W. Bush ? Un choc des cultures ou une lutte interne à l’islam entre ceux qui aspirent aux droits qu’offre la démocratie et les adeptes d’un grand califat fondé sur la charia ?
Aujourd’hui on sait que l’attentat du 11 septembre 2001 visait l’Amérique en tant qu’objet de désir de millions de jeunes musulmans, ceux qui écoutent la même musique, regardent les mêmes films et se posent les mêmes questions que la plupart des jeunes du monde. La destruction du World Trade Center avait pour objectif de leur démontrer la fragilité du système démocratique. Par la même occasion, les terroristes affirmaient la toute-puissance d’Allah et le pouvoir des théocrates musulmans. Si cela est vrai, alors le type de guerre dans lequel nous nous sommes engagés n’est pas adéquat. Il a été suffisant pour chasser les talibans de Kaboul, pas pour empêcher leur retour et pas pour éradiquer le terrorisme. Quelles sont les raisons de la popularité de Ben Laden auprès des musulmans ? En partie, la pauvreté, la corruption, le sous-développement culturel. Comme les prolétaires d’hier, les pauvres d’aujourd’hui n’ont rien à perdre que leur misère. A cette différence que les islamistes, contrairement aux marxistes, ne proposent pas un système qui abolirait la famine et l’exploitation. Ils prétendent apporter un espoir, d’abord dans les pays où, après la chute du communisme, il fait radicalement défaut. L’homme peut parfois survivre sans nourriture. Il ne le peut pas sans espoir.
Depuis la première conférence du tiers-monde à Bakou en 1920, les luttes de décolonisation et de libération nationale, les mouvements révolutionnaires, Che Guevara ou Hô Chi Minh ont nourri d’espoirs des centaines de millions d’individus. Après la disparition du communisme, cet espoir s’est effacé devant celui du Paradis porté par la solidarité islamique.
Cela explique en partie la progression de l’islam et le retour des religions dans le monde postcommuniste. Cela n’explique pas le terrorisme. Les pauvres ne posent pas de bombes, ils se révoltent. Le terrorisme est une méthode de riches. Cela vaut pour 1793 en France, les nihilistes russes du début du XXe siècle, la bande à Baader et les Brigades rouges, pour finir par Ben Laden. Il est possible que les pauvres se soient réjouis de la leçon que le milliardaire saoudien a infligée à l’Occident. Encore faut-il leur expliquer qu’ils n’en sortiront pas pour autant de la misère. On pourrait aussi leur dire que leur morale religieuse ne justifie pas de telles horreurs. Il faudrait surtout leur montrer que ceux qui conçoivent ces actes ne sont ni pauvres ni désespérés. Les terroristes d’aujourd’hui, comme les terroristes gauchistes d’hier, veulent nous forcer à choisir entre la liberté et la sécurité. Ils espèrent qu’en abandonnant une part de nos libertés, nous ternirons l’attrait de nos sociétés sur les masses musulmanes. Les terroristes islamistes savent que le régime soviétique s’est écroulé devant les images de la liberté et de la prospérité de nos démocraties. Les théocrates musulmans risquent d’être balayés par les mêmes images. Il suffit de voir ces femmes qui se présentent aux élections à Kaboul.
Il est probable que ce terrorisme venu d’Afghanistan représente l’ultime sursaut d’une idéologie qui s’écroule. Face au désir de modernité de centaines de millions de musulmans, le parti des talibans tire ses dernières salves, qui peuvent faire beaucoup de dégâts. Ce ne sont pas nos armes qui vont les en empêcher. Nos bombardements confortent leurs bombardements.
En revanche propager la culture de la démocratie qui leur fait peur aura plus d’effet que nos éphémères victoires militaires. Projeter sur les marchés des villages les plus reculés de Herat, du Panchir, ces films, égyptiens par exemple, où on voit des femmes musulmanes non voilées participer à la vie de la cité, ferait plus de mal aux talibans que quelques morts de plus parmi leurs combattants. Dans cette bataille, comme dans tant d’autres, c’est l’imagination et non la force qui décide de la victoire.
Marek Halter, écrivain.