Afrique australe: les peuples à nouveau dépossédés de leurs terres?

Mine d'uranium exploitée par Rio Tinto. Namibie, 23 février 2017. © Reuters/Siphiwe Sibeko
Mine d'uranium exploitée par Rio Tinto. Namibie, 23 février 2017. © Reuters/Siphiwe Sibeko

Le gouvernement namibien a récemment annulé une loi de 2015 qui exigeait que 20% au moins du management des entreprises soit aux mains de Namibiens dans le but d’empêcher l’accaparement des ressources minières – tels les diamants et l’uranium – par des étrangers. Selon le Ministère des mines, il s’agit «d’encourager les investisseurs étrangers inquiétés par cette loi restrictive»! Une explication similaire est donnée au Zimbabwe où le nouveau président Emmerson Mnangagwa a annulé une loi instaurée par Robert Mugabe et qui stipulait que pour tout investissement étranger, 51% de la propriété des entreprises devaient être en mains de Zimbabwéens. Cela valait en particulier pour les diamants et le platine.

La Namibie, un territoire grand comme une fois et demie la France, compte 2,2 millions d’habitants dont environ 5% sont des Blancs d’origine sud-africaine et allemande et qui contrôlent une bonne partie de l’économie. Mais, comme partout en Afrique, il faut ajouter un fait nouveau: il y a 2% de Chinois, plus nombreux que les anciens colonisateurs allemands, et gros exportateurs, entre autres, d’uranium. On se doute bien que les nouveaux colonisateurs chinois, de même que les multinationales étrangères, ont eu quelque influence en vue de faire changer la loi protégeant les Namibiens. Qui dit Chinois et multinationales soupçonne la corruption.

Les mines et l’agriculture

Le secteur minier emploie 17 000 personnes et représente 12% du PIB. Mais depuis 2016, la Namibie est entrée en récession, ce qui explique peut-être aussi le changement de loi pour les mines. Cette loi fait partie d’un encadrement plus général appelé New Equitable Economic Empowerment Framework (NEEEF) qui copie le système sud-africain Broad Based Black Economy Empowerment (BBBEE) qui repose sur un quota fixe mais volontaire de 26% de participation noire sud-africaine dans les entreprises, surtout pour les mines. Le NEEEF namibien pourrait être remis en question, car tout cela fait fuir les investisseurs, paraît-il…

Il n’y a pas que le secteur des mines qui est en question, il y a aussi l’agriculture, surtout l’élevage de bœufs, viande pour laquelle la Namibie a un débouché en Europe, et même en Suisse pour le gibier. Le président namibien Hage Geingob a récemment déclaré que la dépossession des fermiers blancs devait avancer vite, mais qu’il n’était pas question de le faire sans compensation, citant l’effondrement de l’économie sous Mugabe au Zimbabwe. C’est le même discours en Afrique du Sud. Le plan actuel est de vendre les fermes au gouvernement sur une base volontaire. A fin 2015, seuls 27% de fermiers ont cédé leurs fermes (l’objectif est de 43%). Cependant, comme au Zimbabwe, ce ne sont pas les pauvres qui les ont acquises, mais les fonctionnaires et les fidèles serviteurs de l’Etat. Ils en font souvent leur résidence secondaire avec un intendant blanc! Les domaines sont immenses et requièrent de nombreuses compétences que la majorité noire n’a pas encore.

Les Noirs restent dépossédés

En octobre dernier a eu lieu à Windhoek une conférence qui devait justement parler de la réforme agraire, mais curieusement il y a eu peu de participants. Ceux qui avaient été dépossédés au début du XXe siècle par les colons allemands, les Nama et les Herero, ne sont pas venus réclamer des compensations à l’Allemagne (qui a déjà payé des millions de marks pour tout le pays). Ils se sont en effet rendu compte qu’eux aussi avaient pris les terres des premiers habitants de Namibie, les San ou Bochiman, lors des grandes migrations vers le sud austral aux XVIIe et XVIIIe siècles. On a par ailleurs l’impression que les déclarations sur la dépossession des terres sans compensation relèvent de la propagande avant les élections en Namibie et en Afrique du Sud.

Ainsi, les rêves des Noirs pendant les guerres de libération au Zimbabwe, en Namibie et en Afrique du Sud, formulés à l’époque dans un langage marxiste et soutenus par la Russie, l’Allemagne de l’Est et même la Chine, sont une nouvelle fois déçus. Les Noirs les plus pauvres restent dépossédés de leurs terres par les vautours d’un système capitaliste néolibéral qui les laisse de côté. Triste évolution. L’Afrique est encore et toujours mal partie! Elle n’est pas bien défendue par les cadres africains eux-mêmes.

Christine von Garnier, Dr en Sociologie politique.

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