Afrique de l'Ouest : "De la nourriture lorsqu'il en manque"

Les prix alimentaires ont battu des records cette année. Il y a trois ans, ils avaient déjà entrainé des millions de personnes dans la famine. Pourtant, nous avons de la nourriture. Mais elle ne se trouve pas au bon endroit et au bon moment.

Lors d'une réunion à Dakar cette semaine, des experts internationaux ont examiné une nouvelle proposition controversée, émanant du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, cherchant à instaurer un nouveau système de stockage des céréales en Afrique de l'Ouest. Les pays du G20 ont récemment apporté leur soutien à cette idée lors d'une réunion à Washington.

Le PAM mettrait ainsi en place quatre structures de stockage des denrées alimentaires – au Burkina Faso, au Ghana, au Mali et au Sénégal – qui contiendraient jusqu'à 67 000 tonnes de nourriture, soit assez pour faire face à une crise alimentaire en Afrique de l'Ouest durant trente jours. Un approvisionnement supplémentaire pour soixante jours serait disponible grâce à un système "virtuel" soutenu par les négociants privés de la région. Cette réserve aurait un coût initial de 44 millions de dollars (environ 33 millions d'euros) et un coût de fonctionnement annuel de 16 millions de dollars (environ 12 millions d'euros).

Réaliser des stocks alimentaires publics est quelque chose de controversé, même lorsque les récoltes sont abondantes, et cette proposition a déjà attiré ses détracteurs. De nombreux experts craignent à juste titre qu'une importante réserve de céréales biaise les prix mondiaux. Dans de nombreux pays, les marchés agricoles sont des monstres de complexité, notamment en raison d'interventions étatiques. Il faudrait moins d'intervention, et non plus, allèguent ces experts, et les gouvernements ne devraient pas faire appel à un système de stocks pour maintenir des prix arbitraires, faussant les échanges et affectant la production.

Le dispositif du Programme alimentaire mondial tient compte de nombre de ces craintes. Conçu comme un compromis entre des économistes sceptiques à l'égard d'un Etat fort et des activistes convaincus que les variations de prix des denrées alimentaires doivent se faire en douceur, la proposition du PAM se concentre sur l'approvisionnement en nourriture pour de l'aide humanitaire et seulement sous des conditions particulières de prix mondiaux. Le dispositif concède à ces économistes que les prix du marché ne devraient pas être fixés de manière artificielle, tout en apaisant les activistes en reconnaissant que quelque chose doit être fait.

L'idée de stocks alimentaires à des fins humanitaires provoque pourtant des réserves. Dans un récent article pour le Centre international pour le commerce et le développement durable (ICTSD), Christopher Gilbert soutient que, dans le cas où la population vulnérable est définie de manière trop large, les marchés pourraient recevoir de la nourriture dans des quantités qui nuisent aux agriculteurs locaux en provoquant une baisse des prix. Il ajoute que des programmes mal conçus peuvent avoir des conséquences sur la distribution alimentaire entre les ménages, certains en bénéficiant moins que d'autres.

Plus important encore, il souligne que les gouvernements doivent s'assurer de ne pas entreprendre des actions qu'il serait préférable de confier au secteur privé. Sur ce point, les dirigeants pourraient s'inspirer d'expériences asiatiques où des stocks privés sont généralement encouragés en période d'abondance et découragés en temps de crise.

Des stocks alimentaires à des fins humanitaires ont du sens en temps de crise – tant qu'ils ne perturbent pas les marchés internationaux ni ne portent atteinte aux agriculteurs locaux. Les millions de personnes desservies par les agences humanitaires devraient recevoir de la nourriture quand et là où elles en ont besoin. En Afrique de l'Ouest, la récente proposition du PAM pourrait au moins rendre ceci possible.

Par Christophe Bellmann et Ammad Bahalim, Centre international pour le commerce et le développement durable, Genève.

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