Agriculteur en 2030 : un nouveau métier, pivot de la transition environnementale

Pour la première fois dans une COP, l’agriculture a occupé une journée entière de l’agenda officiel du sommet de Charm el-Cheikh. Représentant à la fois 19 % des émissions de gaz à effet de serre générées sur le sol français et, à l’inverse, un potentiel de séquestration d’un milliard de tonnes équivalent CO2 par an à l’échelle mondiale doublé d’externalités positives en matière d’eau et de biodiversité, le secteur agricole est un contributeur majeur de la transition écologique. Mais celle-ci ne pourra advenir que si elle est économiquement viable et socialement juste, pour l’exploitant agricole comme pour le consommateur.

Or, quelle place sera accordée aux agriculteurs dans ces débats planétaires ? C’est pourtant à eux qu’il revient de répondre aux défis alimentaires sans précédent liés aux chocs exogènes climatiques et géopolitiques. Conjonction inédite de bouleversements qui s’ajoutent à d’autres, plus anciens, comme la réduction du nombre de fermes au rythme de 5 000 à 10 000 par an en France, faute de repreneurs.

Il leur faut résoudre une triple équation : garder le contrôle des coûts, garantir l’accessibilité de la production et pivoter vers des modèles plus durables. L’agriculture doit pour cela réussir sa quatrième révolution, qui s’appuiera sur les technologies, des modèles agricoles innovants, mais aussi la transformation du métier et des compétences pour accompagner l’adoption de pratiques modernisées et attirer la relève des 30 à 50 % d’agriculteurs partant à la retraite d’ici 2030.

Les leviers pour décarboner 90 % de nos filières végétales et 30 % des filières animales sont déjà identifiés. Ils relèvent pour l’essentiel de pratiques classiques (labour, couverts, prairies tournantes), de l’agriculture de précision ou de nouveaux types d’intrants (biostimulants, inhibiteurs). D’ici 2030, la combinaison de ces leviers permettraient d’épargner à l’échelle mondiale l’équivalent de 5 à 7 gigatonnes d'équivalent CO2. Un pas de géant vers le Net Zéro.

En revanche, cette décarbonation pèserait sur la rentabilité des exploitations à hauteur de 150 euros par hectare, et exigerait des investissements de plus de 300 000 euros pour une ferme grande culture de 300 hectares et de 500 000 euros en moyenne pour les fermes laitières.

Transformation. Pour éviter tout risque d’impasse, l’agriculteur doit être placé au cœur de cette transformation. Loin de l’accabler de discours culpabilisants, l’ensemble des parties prenantes doivent l’intégrer pleinement dans une démarche de co-construction de solutions, et lui garantir les financements adéquats. Elles doivent ainsi l’aider à s’équiper des technologies qui conditionnent 60 % des leviers de l’agriculture régénératrice et des compétences pour en tirer le plein potentiel. Or, selon nos estimations, le taux d’adoption de ces technologies n’excède pas 23 % chez les agriculteurs européens, contre 42 % au Canada et 57 % aux Etats-Unis.

Par ailleurs, il convient de favoriser l’accès des exploitants aux nouveaux modèles commerciaux tels que la génération d’énergie, la valorisation des sous-produits voire la transformation sur place. Enfin, il importe de les appuyer en vue de monétiser au mieux la plus-value environnementale de leur production et de rémunérer leurs séquestrations de carbone.

La voie du modèle agricole durable et performant est certes escarpée, mais l’opportunité est considérable pour le secteur et pour nos sociétés. A l’échelle européenne, un potentiel de création nette d’emplois de 300 000 postes dans l’agriculture est atteignable à l’horizon 2050, si la transition est accomplie de manière optimale.

Clarisse Magnin-Mallez est directrice associée senior et directrice générale de McKinsey France. Julien Revellat est directeur associé au bureau de Paris et leader au sein du pôle Agriculture en France, Europe, Moyen-Orient et Afrique

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