Ahmadinejad et les conservateurs : les raisons de la colère

La révolte de la rue balayée, Ahmadinejad doit-il s’attendre à un mandat de tout repos ? Certainement pas. Son investiture, il y a deux semaines, avait médiatisé l’embarras du Guide suprême au moment de l’embrassade rituelle. Mais Ahmadinejad doit affronter aujourd’hui bien plus que cette rebuffade symbolique de son principal supporteur. Des rangs de ses camarades conservateurs monte une vague inédite de critiques qui tiennent à quatre raisons principales.

1. L’arrogance d’Ahmadinejad à leur égard. Le Président n’a pas caché le peu d’intérêt que suscitaient en lui les vues des personnalités conservatrices. Jusqu’alors, ce dédain n’avait provoqué qu’un grincement de la droite, bien vite tempéré par la campagne présidentielle et le nécessaire ralliement derrière le candidat préféré du Guide (seul à même d’éviter l’éclatement du camp conservateur et le retour des réformateurs au pouvoir). Même Habibollah Asgaroladi, chef de la plus large coalition de droite qui mettait son soutien en balance avec un changement de politique, en fit les frais avant l’élection. Lapidaire, Ahmadinejad répliqua qu’il n’attendait rien de lui. Les conservateurs toléreront-ils encore longtemps l’affront ?

2. Un mépris pour les institutions. Au cours de son premier mandat, les conservateurs n’ont guère goûté les libertés prises par Ahmadinejad avec la loi et le Parlement. L’un des premiers coups de semonce partit de la Chambre nationale des comptes, en avril 2008. Le chien de garde de la législature dénonça les irrégularités dans la réalisation de 54 % des lignes du budget 2007. Un autre vint de l’Inspection nationale - contrôleur du pouvoir judiciaire - qui, en septembre 2008, rapporta les malversations à grande échelle de l’administration. Mais les critiques les plus sévères s’élevèrent lorsque, après l’élection présidentielle, Ahmadinejad s’abstint d’obéir à l’injonction du Guide. Pendant six jours, Ahmadinejad ne réagit pas à l’ordre de l’ayatollah Ali Khamenei de révoquer Rahim Mashai, nommé vice-président. Une défiance si inconcevable que la Société islamique des ingénieurs - une organisation conservatrice dont Ahmadinejad fut l’un des leaders avant 2005 - avertit le Président qu’il pourrait trouver un destin semblable à celui de Bani Sadr (premier président de la République islamique désavoué par l’ayatollah Khomenei et le clergé au pouvoir).

3. Une morgue vis-à-vis du clergé. L’attitude d’Ahmadinejad agace profondément les religieux, habitués, depuis la révolution de 1979, à s’arroger une large part du pouvoir. Non seulement Ahmadinejad ne leur a offert que deux postes de ministres (Intérieur et Renseignement), mais il a fini par les chasser d’une manière pour le moins cavalière. Et le clergé a d’autres raisons de s’irriter. L’exemple de Rahim Mashai en témoigne. Au cours du premier mandat, quatre marja-e taqlid (grands ayatollahs) et cinquante des quatre-vingt-huit clercs de l’Assemblée des experts lui intimèrent par écrit de congédier son beau-frère. Pourtant, l’un des premiers actes politiques d’Ahmadinejad en accédant une seconde fois à la présidence fut de nommer Rahim Mashai au poste de vice-président.

4. L’inquiétude pour l’avenir de la République islamique. Nombre de conservateurs se demandent aujourd’hui si les politiques engagées par Ahmadinejad ne contribuent pas à l’affaiblissement de la République. La droite proche de Hashemi Rafsandjani, ancien président, n’a pas manqué, durant les quatre dernières années, de lui faire part de leurs préoccupations. Selon eux, Ahmadinejad aurait détérioré la situation économique du pays, aggravé la crise avec la communauté internationale et affaiblit la solidarité au sein du régime. Après l’élection du 12 juin, ces personnes ont trouvé de nouvelles raisons de s’inquiéter. Pour elles, la seule cause du soulèvement populaire inédit contre le gouvernement n’est autre qu’Ahmadinejad. Cette position a été traduite par Mohsen Rezai, ancien commandant des Gardiens de la révolution, lors de l’annonce de sa candidature pour la présidentielle : il affirma que le pays était au bord du «précipice» et que l’Etat avançait dangereusement vers la «désintégration».

Ahmadinejad apparaît aujourd’hui de plus en plus seul, face aux critiques d’une partie des conservateurs, du Parlement, du pouvoir judiciaire, du Conseil de discernement (institution arbitrale présidée par Rafsandjani) et même de ses propres alliés, poussés les uns après les autres dans le camp des opposants. Bien des observateurs estiment que pour affronter cette situation, Ahmadinejad n’aura pour seule solution que de s’appuyer toujours un peu plus sur l’ayatollah Khamenei. Cependant, ce soutien, très coûteux pour le Guide, pourrait ne pas être au niveau de ce qu’il espère et requiert.

Hossein Bastani, ancien secrétaire général du syndicat des journalistes iraniens exilé en France et rédacteur en chef du site d’information Roozonline.com