Aleksandar Vucic, un président entre Poutine et Erdogan

L’Histoire a parfois de bien étranges, paradoxaux, soubresauts. La preuve vient encore d’en être faite, ce dimanche 2 avril 2017, en Serbie, où le peuple a élu, dès le premier tour, un ancien extrémiste à la tête de l’Etat: Aleksandar Vucic, lequel, ne craignant pas de cumuler désormais les deux principales fonctions politiques de ce pays, n’est autre, également, que son premier ministre!

Ministre de l’information de Milosevic

Pour ceux qui ne connaîtraient pas cet homme avide de pouvoir, sans partage, où président et premier ministre coïncident en un seul et même individu, je leur conseille de lire ce très peu flatteur portrait qu’en brosse l’encyclopédie Wikipédia. Ainsi y verront-ils que ce Poutine des Balkans, cet Erdogan en herbe, occupa, aux pires heures du nationalisme serbe, quelques-uns des plus hauts postes ministériels, dont celui, en 1999, sous l’ère Milosevic et alors que la guerre faisait rage au Kosovo, de ministre de l’Information, pivot zélé, à l’époque, de la propagande guerrière.

C’est à ce peu glorieux titre que le jeune mais déjà redoutable Aleksandar Vucic, alors vice-président du Parti radical serbe, fondé par l’ultra-nationaliste Vojislav Seselj, était chargé de museler, sans état d’âme mais avec une main de fer, les médias, et avec eux les intellectuels dissidents, opposés au régime.

Un ultra-nationaliste justifiant Srebrenica

C’est encore lui qui, en 1995 déjà, alors que Srebrenica s’apprêtait à vivre l’un des massacres les plus sanglants, en Europe, depuis la Seconde Guerre mondiale, osa déclarer à Belgrade, en pleine séance du parlement, que «pour un Serbe tué, cent Bosno-Musulmans périraient»!

Ces Bosno-Musulmans ne l’ont certes pas oublié: motif pour lequel une foule déchaînée le chassa comme un malotru, au risque de le lyncher publiquement, du site de Potocari, cimetière dédié à la mémoire des huit mille disparus de Srebrenica, lorsque, démagogue d’entre les démagogues, allant jusqu’à faire fi de ses anciens éloges du tristement célèbre général Mladic, il prétendit venir s’incliner, lors de la commémoration du vingtième anniversaire de ce carnage, le 11 juillet 2015, devant ces milliers de tombes, dont certaines sont encore anonymes.

Trahison en tous genres

Mais voilà: le vent de l’Histoire, depuis la fin de cette horrible guerre fratricide en ex-Yougoslavie, a changé, et bon nombre de dirigeants serbes ont fini à La Haye, devant le Tribunal pénal international, faisant ainsi tourner casaque à Vucic lui-même, lequel, en fin tacticien mais surtout en bon opportuniste qu’il est, a su en profiter pour ainsi renier juste à temps, avant de se voir lui aussi inculpé de complicité de crimes de guerre en Bosnie comme au Kosovo, ses vieilles convictions idéologiques, le nationalisme grand serbe, et trahir son vieil allié, Slobodan Milosevic, tout autant que son ancien mentor, Vojislav Seselj, en rejoignant, en 2008, le Parti progressiste serbe. Le tour de passe-passe, même s’il ne fait guère illusion aux yeux des observateurs les plus avisés, aura néanmoins pleinement réussi sa mue face aux esprits les plus crédules au sein de l’opinion publique serbe!

Voilà donc ce très peu démocratique Vucic désormais élu, sans même avoir eu la décence de démissionner auparavant de son poste de premier ministre, président de la Serbie: une double casquette, fait unique dans le monde politique d’aujourd’hui, pour celui que les plus lucides, parmi le peuple serbe, soupçonnaient pourtant déjà – non sans raison, à voir sa mainmise sur la plupart des grands médias nationaux – de dérive autoritaire, sinon despotique, où nulle opposition n’est autorisée, ni simple dissension tolérée. Pour avoir moi-même été un jour confronté à ses sbires, dont les infâmes méthodes de coercition n’ont rien à envier à celles de la police secrète sous la férule de Tito, j’en sais quelque chose! Ce totalitarisme-là a, comme l’aurait dit Hannah Arendt si elle avait eu à subir ce genre de turpitudes, de nauséabonds relents de fascisme.

Le démon du totalitarisme

Ainsi, conjuguant maintenant les fonctions de premier ministre et de président de la République serbe, en plus de bénéficier d’un parti politique majoritaire au parlement, c’est donc un pouvoir quasiment illimité, bien supérieur à celui de Milosevic au temps de son obscur règne en ex-Yougoslavie, dont dispose aujourd’hui Aleksandar Vucic, à présent maître absolu d’une Serbie aux prises, une fois encore, avec ses vieux démons totalitaires. Il est à craindre, en ces navrantes conditions, que le peuple serbe doive bientôt regretter, une nouvelle fois, ce choix électoral qui, pour démocratique qu’il se présente en apparence, n’en demeure pas moins funeste, en réalité, pour son avenir comme pour ses libertés.

L’Histoire, certes, jugera! Reste que l’Europe, si elle veut éviter à nouveau le pire en cette région des Balkans, doit se montrer plus que jamais vigilante quant au respect des droits de l’homme. Il y va de la paix au cœur de sa civilisation!

Daniel Salvatore Schiffer, philosophe et auteur de «Le Testament du Kosovo – Journal de guerre»

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