Algérie : Changeons le pouvoir avant qu’il n’explose

Au-delà des péripéties actuelles de la campagne électorale, la situation pathétique que traverse l’Algérie pose la question de la transition dans les Etats rentiers, gouvernés à merci par des élites omnipotentes, souvent depuis leur indépendance.

L’argument avancé pour défendre la candidature du président Bouteflika est celui de la stabilité du pays. Et toute réflexion sur un changement institutionnel doit prendre en compte les trois caractéristiques suivantes.

En premier lieu, les élites sont les leaders stratégiques du jeu politico-économique : elles contrôlent la rente mais, en tant que détentrices exclusives de la force publique, elles peuvent ajuster leurs politiques de répression et de redistribution selon la réaction de la population. Il est possible de montrer dans certains cas qu’il existe un « policy-mix » de répression et de redistribution qui garantit aux élites de rester au pouvoir.

Inutile ici de lister toutes les décisions prises par les gouvernements arabes depuis la « révolution de jasmin » en Tunisie pour apaiser les tensions politiques et sociales : elles obéissent toutes à cette logique. Mais, comme les rentes pétrolières ne sont pas éternelles, ce traitement ne fait en réalité que reporter le renversement des élites, tout en déséquilibrant au passage les finances publiques de ces pays.

Le deuxième point important est le sort des élites après leur renversement. Elles ne réagissent pas de la même façon si le changement est associé à leur liquidation physique, ou bien à une redistribution des cartes politiques et économiques plus égalitaire, issue certes peu favorable pour elles, mais pas fatale. Dans ce dernier cas, il est possible de montrer qu’elles finissent par accompagner le changement institutionnel. C’est le sens des amnisties qui ont suivi l’avènement de la démocratie en Espagne : en garantissant aux élites en place sinon l’impunité du moins l’absence de mesures de rétorsion, elles permettent de lever de sérieux obstacles au changement.

LA SOCIÉTÉ CIVILE PLUS QUE MORCELÉE

Le dernier point concerne le rôle de l’autre camp, que nous appellerons « la population », et qui englobe tout type d’opposition face aux élites. La population peut se résoudre à passer à la contestation comme cela a été le cas dans la plupart des pays arabes. Mais elle ne le fait que si le gain anticipé d’une redistribution plus égalitaire du pouvoir compense les coûts inhérents à la contestation des régimes en place. Ces coûts sont d’une double nature : d’une part, ils mesurent la volonté et les moyens de répression des élites ; d’autre part, ils dépendent de la capacité de la population à se coordonner pour faire bloc contre les élites.

En Algérie, ces coûts de coordination sont assez élevés pour que des initiatives comme le mouvement Barakat (« Dégage ») contre le quatrième mandat, peinent à peser. Les coûts de coordination dépendent d’un certain nombre de facteurs comme la démographie, le niveau d’éducation moyen et son corollaire, l’existence d’une société civile structurée. En Algérie, la société civile est plus que morcelée, ce qui est un problème en moins pour le pouvoir, mais un problème en plus pour le pays, si la transition devait s’engager.

L’argument de la stabilité arboré par les défenseurs du quatrième mandat est un non-sens absolu. L’urgence est de changer de régime avant qu’il n’explose de lui-même, avec des dégâts collatéraux imprévisibles. Le changement ne se décrète pas et ne peut être l’apanage des élites. La proposition de l’ex-premier ministre Mouloud Hamrouche de faire piloter la transition depuis l’intérieur du régime ne peut être au mieux qu’un point de départ ; il est urgent d’impliquer le plus tôt possible des personnalités extérieures au pouvoir, sans quoi sa crédibilité serait entamée.

La férocité du pouvoir en place et la culture de captation de la rente bien répandue dans la société ont certes raréfié la disponibilité de ces contrepoids, mais les scènes économique, universitaire et politique ne manquent pas de personnages de référence. Faire émerger une société civile indépendante est l’une des clés d’une ouverture crédible à la concurrence.

Raouf Boucekkine, professeur d’économie à l'université d’Aix-Marseille, directeur scientifique de l'Ecole d'économie d’Aix-Marseille-Université.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *