Algérie : Le régime peut survivre à son président

L’Algérie connaît en ce 17 avril sa cinquième élection présidentielle pluraliste. L’essentiel des débats politiques se sont focalisés sur la candidature du président sortant, Abdelaziz Bouteflika, briguant un quatrième mandat. Très vif, parfois violent, ce débat clivé s’est concentré sur deux positions antagonistes : la première, favorable à cette candidature, la seconde, complètement opposée.

La confrontation de ces deux postures laisse penser que l’enjeu de cette bataille se résume à présenter Abdelaziz Bouteflika comme la solution miracle à tous les maux de l’Algérie, ou au contraire, comme le mal absolu. A relever par ailleurs que l’ampleur de cette dichotomie n’est pas étrangère à la chute récente des dictatures voisines et à l’instabilité régionale.

Cette équation n’est-elle pas biaisée, confondant événement électoral, temps médiatique et temps court par excellence, avec la pratique politique (temps politique et temps long) par définition ? Bien au-delà de l’élection présidentielle, l’enjeu n’est-il pas dans la perpétuation du système politique mis en place à l’indépendance ?

Ce système se perpétue et se reproduit parce qu’il a su adapter les règles de la gouvernance qui le servaient et abandonner celles qui lui nuisaient. Ainsi consacre-t-il la collégialité du régime, prévient-il l’émergence d’un leader dominant, privilégie-t-il la négociation entre les centres de décision, calcule-t-il les risques pris et conserve-t-il une fonction d’arbitrage des conflits.

En revanche, il encourage la déresponsabilisation des gestionnaires, se soucie peu de la comptabilité et alimente le flou sur l’identité des décideurs. Trois conditions sine qua non pour nourrir le mythe du « cabinet noir », appliquer la stratégie du fusible et garantir le soutien du plus grand nombre…

UNE CONCEPTION PROCÉDURALE DE LA DÉMOCRATIE

Ce système se perpétue parce qu’il a su éviter la concentration du pouvoir et donc sa fragilisation. Il s’appuie sur une conception procédurale de la démocratie : il tient des élections pluralistes et impose, malgré l’opposition des conservateurs, la discrimination positive pour améliorer la représentativité des femmes dans les institutions politiques. Il va même jusqu’à exposer sur la place publique ce qui apparaît comme une lutte d’influence entre une institution présidentielle en quête de plus de pouvoir, et l’institution militaire, résistant à son ouverture aux civils.

En parallèle, les scandales de corruption se multiplient, sans que la justice intervienne, et le gouvernement distribue des milliards de dinars aux collectivités locales sans que le Parlement les budgétise…

Ce système se perpétue parce qu’il a su intégrer dans le jeu politique les acteurs alimentant une façade démocratique moderne et ceux préservant les « constantes » chères aux conservateurs. Pour les premiers, une centaine de partis politiques, plus de 100 000 organisations non gouvernementales, une centaine de journaux privés, une dizaine de chaînes de télévision et une connexion Internet largement subventionnée et non censurée.

Les seconds bénéficient de la revalorisation des confréries, des chefs de tribus et des notables locaux, symboles de loyautés traditionnelles et sources de soutiens électoraux essentiels. La gestion politique du rôle de ces acteurs fait qu’ils se retrouvent en situation de rivalité les uns à l’égard des autres et en situation de complémentarité vis-à-vis du système politique.

Pratiquant l’arbitrage depuis toujours, ce système se perpétue parce qu’il s’appuie sur une relation duale d’inclusion/exclusion particulièrement efficace. L’inclusion est souvent synonyme de « clientélisation » et de cooptation à large spectre. En effet, la distribution non sélective de la rente permet de répondre aux revendications socio-économiques avec suffisamment de célérité et d’efficacité pour prévenir toute politisation des mouvements sociaux.

ÉLIMINER UN OPPOSANT POLITIQUE

La distribution ciblée de la rente permet, quant à elle, de coopter des personnes et groupes ressources (patrons, partis politiques, syndicats, chef local…), et de conclure des partenariats au niveau international.

Est-il nécessaire, à ce propos, de relever que l’Algérie est le premier client africain de l’Union européenne et que les plus gros scandales de corruption concernent les contrats conclus avec des partenaires étrangers ?

L’exclusion est le résultat de la contrainte, symbolique ou matérielle. Pour éliminer un opposant politique, sa marginalisation par sa discréditation, sa diabolisation et sa minorisation sont des moyens particulièrement redoutables. Cette efficacité explique sans doute le recul très net de l’usage de la répression physique à l’égard des opposants et le recours à la « gestion démocratique des foules ». Or, l’absence d’images de répression et de violence policière extrême tend à réduire l’impact des mouvements de contestation qui tentent une percée politico-médiatique.

Pour revenir au point de départ, le président Bouteflika n’a pas mis ce système en place. Il en a bénéficié à l’indépendance, en a été chassé, puis l’a réintégré deux décennies plus tard. Depuis quinze ans, il a développé, modernisé et actualisé le système politique algérien. Il a usé et abusé de la légitimité mémorielle, issue de deux légitimités sécuritaires, à savoir la guerre de libération et la lutte antiterroriste. Il a usé et abusé de deux cultures, celle glorifiant le passé et celle alimentant la peur.

Aujourd’hui, les Algériens ont peur du passé (le terrorisme des années 1990), du présent (le syndrome libyen et syrien) et du futur (le changement porteur de chaos). Résultat, l’ambition démocratique est revue à la baisse. La seule alternative au président Bouteflika qui émerge est une transition pactée. Cela signifie que, si Abdelaziz Bouteflika n’est pas le cœur battant du système politique algérien, ce dernier a de sérieuses chances de lui survivre.

Louisa Dris-Aït Hamadouche, Politologue.

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