Allemagne: la crise économique à venir

L'excédent commercial allemand est à son plus haut niveau historique depuis les années 1950, date à laquelle cette statistique a commencé à être compilée. Elle s'élève à 198,9 milliards d'euros en 2013 selon l'Office fédéral des statistiques Destatis.

Qualifiée d'homme malade de l'Europe au début du XXIe siècle, l'Allemagne paraît donc être devenue un véritable modèle économique au beau milieu d'une crise économique mondiale. L'excédent historique de sa balance commerciale inquiète le Trésor américain qui, dans son rapport semi-annuel d'octobre 2013, y voyait ''un biais déflationniste pour la zone euro et l'économie mondiale''.

Quelques semaines plus tard, la Commission européenne a ouvert un examen approfondi de l'excédent commercial allemand car il a dépassé le niveau de 6% du produit intérieur brut (PIB), excessif et facteur de déséquilibre selon Bruxelles. Dès lors, l'Allemagne pourrait-elle être victime de ses récents succès économiques ?

DÉCLIN DÉMOGRAPHIQUE DURABLE ET DETTE RECORD EN TEMPS DE PAIX

La première limite au modèle économique allemand est le vieillissement d'une population décroissante. Depuis le début des années 2000, l'Allemagne a perdu 400 000 habitants alors que, sur la même période, la France en a gagné 4,9 millions. Par conséquent, le faible taux de chômage allemand est aussi dû au fait que peu de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. Certains Länder comme la Bavière sont ainsi déjà confrontés à une pénurie de MO, le taux de chômage n'y étant que de 3%.

A terme, les effets positifs de ce déclin démographique sur le taux de chômage auront disparu et pourraient se traduire par une diminution de la production du pays. Parallèlement, le vieillissement de la population entraînera mécaniquement une hausse des dépenses de sécurité sociale. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'emploi potentiel en Allemagne pourrait baisser de 0,5 point de pourcentage par an entre 2016 et 2025. Cela pourrait faire passer la croissance potentielle en-deçà des 1% et réduire considérablement les rentrées fiscales.

La question du niveau de la dette publique devra donc être au cœur de la politique économique allemande ces prochaines années. La règle d'or budgétaire va ainsi entrer en vigueur dès 2016. Les économistes Lars Feld et Ekkehard Köhler estiment d'ores et déjà que la dette allemande est à son plus haut niveau historique en tant de paix et que le besoin de consolidation budgétaire est ''criant'' (février 2013).

LES BANQUES ET LE SECTEUR DES SERVICES, TALON D'ACHILLE DU MODÈLE ÉCONOMIQUE ALLEMAND

L'Allemagne se trouve confrontée à la fragilité de son secteur bancaire. Elle constitue la principale préoccupation de l'agence de notation Moody's qui pointe notamment la forte présence des banques allemandes en Espagne et en Italie, deux pays durement touchés par la crise. Selon le stress test mené par l'Autorité bancaire européenne, le besoin de recapitalisation des banques allemandes s'élève à 13, 1 milliards d'euros (décembre 2011).

L'Allemagne risque en outre d'être victime de la faiblesse et la rigidité du secteur des services. Le déficit commercial dans ce secteur atteignait en 2010 selon l'OCDE 29,1 milliards d'euros. De surcroît, sur les 27 pays de l'OCDE, l'Allemagne arrive au 22e rang en termes de rigueur de la réglementation des services professionnels ce qui impacte négativement la croissance de la productivité.

L'Allemagne pourrait entraîner l'Europe dans une spirale déflationniste après avoir engranger des excédents commerciaux sur le dos des pays du Sud de l'Europe, selon les rapports du Trésor américain et du Fonds monétaire international (FMI) publiés en octobre-novembre 2013.

De 1998 à 2010, le pouvoir d'achat de chaque salarié a baissé de 1% en Allemagne tandis qu'il a progressé de 18% en France. La conséquence a été le développement d'une proportion importante de travailleurs pauvres qui a atteint 8% à 10% de la population en 2011. Ainsi, la demande intérieure allemande a été sacrifiée sur l'autel d'une compétitivité-coût dont ses partenaires sont les premières victimes.

D'une part, l'Allemagne est dépendante de ses partenaires avec 40% de ses exportations industrielles à destination de la zone euro. D'autre part, français, italiens ou espagnols ne profitent pas de la bonne santé allemande puisque leurs exportations à destination de la première économie européenne représente moins de 3% de leur PIB.

Conclusion, l'Allemagne commence à souffrir de la mauvaise santé de partenaires sur le dos desquels elle a réalisé ses excédents commerciaux (FMI, novembre 2014). La croissance du PIB est d'ores et déjà passée de plus de 3% en 2010 et 2011 à moins de 1% en 2012 et 2013 et ce malgré des excédents commerciaux records proches des 7% de PIB.

REDYNAMISER LA DEMANDE INTÉRIEUR ET ACCROÎTRE L'APPORT DE MAIN-D'ŒUVRE

Concernant la demande intérieure, Angela Merkel a annoncé la mise en place d'un salaire minimum et des hausses de salaires dans les services publics. Suite à un recours devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, il a été jugé que le mode de calcul des allocations sous la loi Hartz IV violait « le droit au minimum vital digne ». L'allocation minimum a en conséquence été revalorisée de 359 euros en 2010 à 382 euros en 2013. Les 800 000 employés des services publics des 15 États régionaux ont également obtenu une hausse de salaire de 5,6%.

Concernant l'apport de main-d'œuvre, l'enjeu est double. L'Allemagne sera certainement contrainte de faciliter l'immigration ; la loi pour la reconnaissance des diplômes étrangers votée en 2011 va dans ce sens. Aussi, il conviendrait certainement d'encourager la hausse de la durée hebdomadaire de travail des femmes allemande qui est inférieure de plus de 4 heures à la moyenne des pays de l'OCDE (30,5 heures contre 34,8 heures).

L'enjeu est de taille avec seulement 14% des mères de un enfant et 6% des mères de deux enfants qui reprennent un emploi à temps plein malgré des lois pro-actives et généreuses concernant le congé parental et le droit à une place en crèche pour chaque enfant de 1 an.

LA QUESTION DES EXCÉDENTS COMMERCIAUX ALLEMANDS ET LA FIN DU SYSTÈME DE BRETTON WOODS

Les critiques actuelles adressées à l'encontre de l'Allemagne ne sont pas sans rappeler les accusations du président américain Johnson à la fin des années 1960 qui appelait déjà à une réévaluation du deutsch mark afin de réduire les excédents commerciaux de la RFA.

Cette situation avait aboutit à la fin du système de Bretton Woods de changes fixes. Les pressions exercées aujourd'hui par le Trésor américain, le FMI ou la Commission européenne témoignent donc ainsi de l'influence globale des mutations qui devront être opérées par notre voisin d'outre-Rhin.

Par Emmanuelle Schon-Quinlivan (University College Cork, Irlande) et Yannick Cabrol (Sciences Po Paris)

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