Par Jacques Amalric (LIBERATION, 30/03/06):
Tous les sondages l'indiquent : avec 80 % ou plus d'opinions favorables, Angela Merkel, au pouvoir depuis novembre dernier, est le chancelier le plus populaire de toute l'histoire de la RFA. En quatre mois, à la tête de la grande coalition qu'elle a été contrainte de former avec les sociaux-démocrates, elle a réussi à gommer l'image de gaffeuse sans charisme et d'émule maladroite de Margaret Thatcher qui était la sienne à la fin de la campagne des élections législatives du 18 septembre et qui explique en grande partie le médiocre score enregistré alors par la démocratie chrétienne.
En quelques mois, elle a aussi réussi à redorer le blason de l'Allemagne sur la scène internationale, que ce soit à Washington, à Moscou, à Paris ou à Bruxelles, à Varsovie ou à Jérusalem. Atlantiste convaincue, elle n'a pas renié pour autant les positions de son prédécesseur à l'égard de l'intervention américaine en Irak. Elle s'est même payé le luxe de réclamer publiquement, dans la capitale américaine et face à George W. Bush, la fermeture du camp de Guantanamo.
A Moscou, elle a évité les démonstrations forcées d'amitié avec Vladimir Poutine (que multipliait à l'envi un Gerhard Schröder sans vergogne), ne se privant pas d'évoquer les multiples entorses à la démocratie du chef du Kremlin ainsi que sa politique de répression en Tchétchénie. En se rendant à Varsovie, elle a montré sa volonté de rééquilibrer en faveur des pays d'Europe centrale et orientale une diplomatie allemande trop tournée vers la Russie.
Pas de fausse note, non plus, lors de sa visite au Proche-Orient, où elle a su trouver les mots justes aussi bien à Jérusalem qu'à Ramallah. A Bruxelles, elle a également fait preuve de savoir-faire diplomatique pour sortir de l'impasse le dossier jusqu'alors encalminé du budget européen. A Paris, enfin, elle a sacrifié sans précipitation et sans trop de conviction mais avec une courtoisie de bon aloi, sur l'autel du couple franco-allemand, sachant bien que la panne du fameux «moteur» ne serait réparable au mieux qu'après 2007.
Cet activisme diplomatique dont a fait preuve la chancelière contraste avec son relatif attentisme sur la scène intérieure : fini le temps électoral des hymnes au libéralisme et des exhortations aux réformes radicales. L'heure, selon Angela Merkel, serait plutôt aujourd'hui aux «petits pas en avant», à «la solidarité», à «la justice sociale», à l'introduction d'un salaire minimum et à «l'économie sociale de marché». La globalisation, a-t-elle même déclaré au forum de Davos, suppose d'être adoucie par un «cadre global» de règles en matière d'environnement et de concurrence. «Un langage emprunté à celui des sociaux-démocrates», grognent les plus conservateurs de la CDU (Union chrétienne-démocrate), certains responsables de la CSU (Union sociale-chrétienne) bavaroise et les libéraux, laissés dans l'opposition.
Quant aux réformes de fond promises, elles ont été reportées à plus tard, exception faite d'un toilettage du système fédéral censé réduire le pouvoir de blocage des Länder, d'un compromis boiteux sur l'exonération fiscale des frais de gardiennage des enfants à domicile et d'un accord sur une accélération du calendrier du passage à la retraite à 67 ans, décidé par le gouvernement Schröder. Le changement de rythme adopté par Angela Merkel ainsi que son nouveau pragmatisme s'expliquent, bien sûr, par le souci de ne pas trop bousculer ses partenaires sociaux-démocrates, dont la cote de popularité reste dans les basses eaux et qui détiennent les ministères les plus exposés en cas de réformes, c'est-à-dire ceux des Finances, du Travail et de la Santé.
La chancelière, dit-on à Berlin, était paralysée par les trois élections régionales qui se sont déroulées dimanche dernier dans le Bade-Wurtemberg, en Saxe-Anhalt et en Rhénanie-Palatinat. Une déroute du SPD (Parti social-démocrate), dont la base grogne et contre lequel l'Alliance pour le travail et la justice sociale (Wasg) du dissident gauchiste Oskar Lafontaine fait feu de tout bois, aurait pu être fatale à la grande coalition. Finalement, il n'en a rien été ; si la CDU a conservé ses fiefs de Bade-Wurtemberg et de Saxe-Anhalt, le SPD a amélioré ses positions en Rhénanie-Palatinat. D'où les pressions qui vont commencer à s'exercer sur la chancelière pour qu'elle se consacre dorénavant aux réformes promises qui devraient laisser loin derrière le CPE à la française.
A commencer par le financement d'un système de santé lourdement déficitaire sur lequel le SPD et la CDU n'ont pas encore pu s'entendre. «Sur le sujet, dit le secrétaire général des sociaux-démocrates, le SPD se situe au Groenland, la CDU dans l'Antarctique mais ils devront se retrouver quelque part en Allemagne. Attendez-vous à un climat politique agité cet été !» Autres sujets délicats : la création d'un impôt négatif pour favoriser les créations d'emplois mal rémunérés, une réforme fiscale d'envergure (dont la hausse de la TVA de 3 points en 2007) et une modification du droit du travail pour favoriser la flexibilité. De quoi faire tanguer la grande coalition et éroder la popularité d'une Angela Merkel qui en a fini avec son pain blanc.