Allemagne: les élections de l’ennui

Le saviez-vous ? D’ici un mois, soit plus précisément le 24 septembre, auront lieu les élections allemandes. Rarement elles n’ont suscité aussi peu d’intérêt, tant la victoire d’Angela Merkel paraît assurée. A l’aube de son quatrième mandat, la chancelière n’a guère de soucis à se faire. D’ailleurs, elle ne s’en fait pas. Sa campagne sera réduite au strict minimum et le débat entre majorité et opposition risque de tourner court.

Aujourd’hui, première puissance européenne, l’Allemagne s’ennuie. Mais son ennui n’a rien à voir avec celui que l’ancien journaliste du Monde, Pierre Viansson-Ponté, décrivait, pour la France, dans son célèbre article du 15 mars 1968. Personne ne remet en cause le modèle de société de la République fédérale et sa jeunesse est la plus brave de toutes celles qu’elle a connues depuis des décennies. Comme ses aînés, la majorité des 15-25 ans se déclare satisfaite du système économique et approuve grosso modo la politique menée par le gouvernement allemand.

L’Allemagne fait envie. Envie pour son faible taux de chômage, envie pour sa position dominante, envie enfin pour sa réussite. L’Allemand aime réussir, réussir mieux que les autres, réussir pour se prouver à lui-même qu’il est le meilleur et prouver à autrui que son succès est d’abord celui de son mode de vie et de sa façon de travailler. Mais l’Allemagne aime aussi être aimée, aimée par elle-même, pour elle-même et surtout aimée par les autres. Alors que ces derniers lui reprochent parfois d’être une donneuse de leçons, elle pense être une donneuse de conseils. Parce que sincèrement persuadée d’avoir raison par définition, elle ne comprend pas que sa propre définition de la raison ne soit pas toujours partagée par ses voisins, ses partenaires, voire ses plus fidèles amis.

C’est pourquoi l’Allemagne déteste la critique. Notamment celle qui la confronte à ses propres certitudes et plus encore à ses propres faiblesses. Malheur à celui qui oserait s’aventurer sur ce terrain, car il en payerait chèrement le prix. Et c’est ce qui arrive à Martin Schulz, soit au (futur) candidat malheureux du SPD. Bien que bénéficiant d’un a priori favorable, d’autant qu’il avait parfaitement défendu, comme Allemand, l’Europe à la tête du Parlement de Strasbourg, il s’est trompé de stratégie électorale. Basé sur une analyse juste, son argumentaire s’est révélé faux. Avec pour objectif de dénoncer de réelles inégalités sociales, de pointer du doigt le gel des investissements publics et de plaider pour une meilleure répartition des fruits de la croissance, il a développé un langage que les Allemands ne souhaitent pas entendre. Ceux-ci veulent du positif et non du négatif. Même, et surtout, si le négatif existe bel et bien !

Par conséquent, les noms de la vainqueur et du perdant des prochaines élections au Bundestag sont connus d’avance. Angela Merkel les gagnera, Martin Schulz les perdra. Mais là, n’est pas la question essentielle. Au soir du 24 septembre, les Allemands de même que tous les autres observateurs s’interrogeront sur la composition du nouveau gouvernement et plus encore sur celle de la nouvelle coalition. Trois scénarios paraissent désormais envisageables. D’abord, une majorité absolue des sièges pour la CDU/CSU. Mais les Allemands n’aiment pas les cabinets unicolores. Puis, une coalition « logique et normale » entre les chrétiens-démocrates et les libéraux du FDP. Toutefois, faudra-t-il pour exister qu’elle ait une majorité de sièges au sein du Bundestag.

Enfin, ladite « coalition Jamaïque », du nom du drapeau jaune, noir, vert de ce pays, réunissant les trois formations que sont la CDU/CSU, le FDP et les Verts. Après un essai infructueux en Sarre, elle fut remise au goût du jour en juin dernier au Schleswig-Holstein. D’autant qu’elle pourrait parfaitement convenir à la chancelière qui ferait d’une pierre deux coups. D’une part, elle y trouverait les alliés qui correspondent le mieux à ses choix politiques et stratégiques ; d’autre part, par le ralliement des écologistes, elle aura divisé la gauche allemande, laissant cette dernière se départir dans l’une des crises les plus graves de son histoire. Reste le maintien de la grande coalition actuelle entre chrétiens- et sociaux-démocrates. Que le SPD en soit épargné, car rien de pire ne pourrait lui arriver que de rejouer les seconds rôles et de n’en récolter que les fruits amères de la défaite !

Gilbert Casasus est professeur ordinaire en Études européennes auprès de la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg.

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