Antiterrorisme : nul système n’est infaillible

Depuis près de deux ans, les spécialistes du terrorisme sont particulièrement inquiets. Ils répètent régulièrement : «La question n’est pas de savoir si la France sera touchée par un attentat mais quand elle le sera.» L’attaque redoutée a donc eu lieu le 7 janvier 2015. Le soir même, on pouvait entendre sur les ondes des intervenants en tout genre exprimer leur solidarité avec les victimes, mais aussi dénoncer l’échec des services de renseignements, appeler à la mise en œuvre d’une stratégie radicalement différente ou encore demander une nouvelle loi antiterroriste… alors que l’encre de la dernière loi sèche à peine. Un attentat est nécessairement la conséquence de failles dans un dispositif antiterroriste. Le Premier ministre, Manuel Valls, a reconnu lui-même qu’il y avait eu des failles. Toutefois, face à la menace actuelle, aucun système n’est infaillible et l’attentat contre Charlie Hebdo ne doit pas amener à repenser de fond en comble un système français qui s’est renforcé au fil des ans et qui paraît aujourd’hui robuste.

Le dispositif actuel émerge dans les années 80, après l’attentat de la rue Copernic, puis celui de la rue des Rosiers. L’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) est créée en 1984. Après la vague d’attentats de 1985-1986, une loi antiterroriste est adoptée et les affaires de terrorisme sont confiées à des magistrats spécialisés. En 1996, à la suite du débordement de la guerre civile algérienne sur notre territoire, la loi crée une innovation majeure - le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste -, qui permet d’intervenir en amont et de condamner des individus impliqués dans la préparation d’attentats. D’autres lois suivent - en 2006, 2012 et 2014 pour ne citer que les plus importantes -, qui tentent d’adapter l’arsenal législatif à l’évolution des menaces.

En parallèle, les services de renseignements font l’objet de réformes profondes et parfois critiquées. La dernière réforme intervient l’an dernier avec la transformation de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et l’annonce d’une augmentation du nombre d’agents de plus de 10% sur trois ans, ce qui constitue un réel effort en période de disette budgétaire. Manuel Valls vient d’annoncer un renforcement supplémentaire. Il faut aussi mentionner les armées qui, en plus des actions qu’elles mènent en France (protection de l’espace aérien, participation à Vigipirate…), ont été impliquées dans des opérations extérieures significatives (Afghanistan, Mali, Irak), toutes liées à la lutte contre le terrorisme.

S’il fallait relever un manque dans le dispositif français, ce serait l’absence de programmes de prévention de la radicalisation, et de déradicalisation. De tels programmes existent dans plusieurs pays (le Royaume-Uni, l’Australie, l’Arabie Saoudite, l’Indonésie, etc.) et incluent généralement des dimensions sociales, psychologiques et religieuses. Ils permettent par exemple à des imams «modérés» d’intervenir préventivement dans des quartiers sensibles, ou de se rendre en prison pour convaincre les détenus d’abandonner leur vision radicale de l’islam. Ces programmes suscitent traditionnellement la méfiance des autorités françaises : ils ne seraient pas compatibles avec le principe de laïcité. Ces réticences sont pourtant en voie de s’estomper.

Si le système antiterroriste français paraît solide, la menace actuelle est si diffuse qu’il est impossible d’empêcher tous les attentats. Cette menace prend essentiellement quatre formes. 1) Parmi les centaines de Français partis faire le jihad en Syrie et en Irak, certains sont déterminés à rentrer et à commettre des attentats. Le cas de Mehdi Nemmouche le prouve. 2) La diffusion des préceptes jihadistes sur Internet peut favoriser des passages à l’acte directs en France. Ce risque pourrait même croître si des personnes étaient frappées d’une interdiction administrative de sortie du territoire, en vertu de la loi antiterroriste de 2014. 3) L’attaque contre Charlie Hebdo montre que des personnes impliquées, voire incarcérées, dans des affaires de filières jihadistes relativement anciennes - en l’occurrence en lien avec l’Irak et le Yémen - sont susceptibles de commettre des attentats plusieurs années plus tard. 4) Les intérêts français à l’étranger doivent aussi être protégés : ils sont menacés par des groupes gravitant dans l’orbite de l’Etat islamique ou d’Al-Qaeda.

Face à la multiplicité et à la diversité des menaces, il n’est ni raisonnable d’exiger des services de renseignements qu’ils soient efficaces à 100% ni souhaitable que la France se transforme en Etat policier. Si les services parviennent à empêcher les attentats de grande ampleur - comme ceux de Madrid, en 2004, ou de New York, en 2001 - ce sera déjà une réussite. Pour le reste, nous devons tous faire preuve de résilience. Perturber le fonctionnement de notre démocratie est un des buts des terroristes. Ne leur offrons pas cette victoire.

Marc Hecker, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri)


Sur le sujet de la menace terroriste en France, une courte vidéo proposée par l'Ifri.

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