Antiterrorisme, où en est-on ?

Antiterrorisme, où en est-on
Photo Pascal Colrat

Deux types de réponses aux attentats terroristes ont vocation à en faire évoluer la fréquence : la panoplie des mesures sécuritaires et répressives d’une part, le traitement de fond de la fracture qui nous sépare de leurs auteurs d’autre part. La réponse sécuritaire est celle dont l’impact est le plus immédiatement mesurable. Ecoutes, arrestations préventives et même exécutions sommaires sous les bombes préviennent bon nombre d’entreprises terroristes, au point que le «succès» de celles-ci relève aujourd’hui d’un véritable défi. La réponse sécuritaire a toutefois des limites. La première tient aux efforts des terroristes pour réduire la visibilité de leurs préparatifs (individualisation croissante et recours à des technologies «civiles») et donc la possibilité d’anticiper leurs attaques. La seconde, plus essentielle encore, tient aux dommages collatéraux qu’elle génère : elle définit en effet de façon très approximative la population des «terroristes potentiels» à laquelle elle impose des humiliations, voire des souffrances en tous genres. Mille et une marques de défiance assignent d’innombrables citoyens à une identité confessionnelle criminalisante et font planer sur eux une suspicion quasi permanente. Un peu partout dans le monde, des milliers de citoyens ont vu leurs déplacements les plus essentiels (visites familiales, études, soins, etc.) entravés au nom d’un «muslim ban» très réel bien avant que Donald Trump n’en ait officialisé la dénomination. Pas un seul des millions de musulmanes ou de musulmans de France ne jouissait ainsi de suffisamment de confiance de la part du président Hollande pour se voir confier la présidence d’une fondation destinée notamment à gérer leurs lieux de culte ! En France encore, alors que dans leur écrasante majorité ils n’avaient pas le moindre reproche à se faire, plusieurs milliers de citoyens ont été réveillés au petit matin par l’irruption traumatisante de forces de police dans leur intimité familiale. Hors de nos frontières, nombreux sont ceux qui savent que leurs proches, leurs amis ou simplement leurs coreligionnaires ne se réveilleront plus, car les bombes de la coalition ont mis brutalement un terme à leurs espoirs de vie. De Mossoul à Raqqa, réduites en ruines par notre coalition avant d’être transférées à des milices kurdes ou chiites, ils sont nombreux ces dommages collatéraux dont personne ne se préoccupe à venir enfler le volet contre-performances de notre «lutte contre le terrorisme». Plus nombreux encore sont ceux qui se révoltent contre ces curieux critères qu’a appliqués la France en armes lorsque, confondant causes et conséquences, insultant les dizaines de milliers de victimes du régime syrien, elle a basculé dans l’impasse tactique du «tous contre Daech» et, oubliant Al-Assad et l’origine du mal, «seulement contre Daech». En anticipant de possibles «radicalisations», on prend ainsi sans doute le risque de… les déclencher.

Mais nous sommes déjà ici au cœur de la seconde catégorie de ces réponses qui conditionnent l’évolution des courbes du terrorisme. Celles-là ont trait à la mission essentielle qui devrait incomber à nos hommes politiques : abaisser, pour faciliter la tâche des services de sécurité, le nombre de ceux qui veulent nous porter des coups ! Combattre, non point comme l’ont fait les illusoires «centres de déradicalisation» les idéologies radicales, mais plus efficacement, en amont, les dysfonctionnements en tous genres du vivre ensemble national ou international qui poussent tant d’exclus à adopter ces idéologies. Que faisons-nous vraiment pour affaiblir l’attractivité du rayon «radical» des multiples possibilités dont dispose un citoyen musulman pour s’approprier en politique son appartenance religieuse ? Asphyxions-nous les racines profondes du terrorisme ou les nourrissons-nous ?

En France, l’espoir a été fugitivement entrevu : celui d’un «jeune président», avide de changement, ruisselant d’intelligence et de logique, capable de nous sortir de l’impasse du tout-sécuritaire. Allait-il apporter au terrorisme une réponse politique et non plus politicienne et électoraliste ? Allait-il cesser de flatter les tripes des électeurs pour faire appel à leur cerveau ? Allait-il enfin introduire dans notre perception si unilatérale, et donc si confortable, de la violence un peu de profondeur historique et un zest de bon sens, donnant enfin à notre lutte l’efficacité attendue ? Bon nombre y ont cru, qui lui ont confié leurs voix pour écarter les bréviaires de la haine portés explicitement par tous les candidats qui, à gauche comme à droite, se disaient notamment séduits par le «bon travail d’Al-Assad» et de son allié russe. Las, une telle éventualité s’est vite retrouvée au rayon des espoirs déçus. Au Mali, le problème du terrible déséquilibre Nord-Sud se résume, aux yeux du Président, à la présence de «terroristes» «qui ne sont rien». En Syrie, où le bourreau Al-Assad n’est plus «notre ennemi», ce sont seulement «les minorités» que nous avons à nouveau pour mission de «protéger» et non la majorité de la population ! Pour commémorer la rafle du Vél d’Hiv, c’est l’extrême droite du pitoyable Nétanyahou, champion mondial des contre-performances humanistes que nous invitons en grande pompe, «un assassin pour commémorer un massacre», comme l’a superbement résumé la réalisatrice Simone Bitton. Au sommet de l’Etat, c’est bien dans l’ornière de la vieille stratégie politicienne qu’Emmanuel Macron vient ainsi de se réinstaller. Celle qui combat bruyamment le terrorisme d’une main et le nourrit discrètement de l’autre. Celle qui préfère capitaliser sur l’émoi populaire en le berçant d’une lecture unilatérale des responsabilités, sans jamais oser, même si cela est cruellement nécessaire, le contrecarrer. La réponse sécuritaire et répressive au terrorisme fait qu’il est de plus en plus difficile de commettre un attentat. Mais la contre-performance absolue de son traitement de fond, politicien au lieu d’être politique, fait que le nombre de ceux qui, dans le monde, sont prêts à relever le défi du maillage sécuritaire a sans doute augmenté depuis trois ans de façon significative. Est-il besoin de le dire ? L’arithmétique de cette relation risque fort de ne pas jouer en notre faveur.

François Burgat, directeur de recherche au CNRS.


Répond Haoues Seniguer: Lutte contre le terrorisme : attention à ne pas tomber dans le manichéisme.

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