Appel des peuples indigènes : « Depuis l’élection de Jair Bolsonaro, nous vivons les prémices d’une apocalypse »

Raoni Metuktire, chef du peuple Kayapo en Amazonie brésilienne, initiateur de l’Alliance des gardiens de Mère Nature. UESLEI MARCELINO / REUTERS
Raoni Metuktire, chef du peuple Kayapo en Amazonie brésilienne, initiateur de l’Alliance des gardiens de Mère Nature. UESLEI MARCELINO / REUTERS

Nous, gardiens et enfants de la Terre Mère, peuples indigènes et alliés, nos prophéties, notre sagesse et nos savoirs nous ont permis de constater que la vie sur la Terre Mère est en danger et que l’heure d’une grande transformation est arrivée.

Les peuples indigènes ont toujours pris soin de la Terre Mère et de l’humanité. Nous représentons 370 millions de personnes dans le monde, répartis sur 22 % de la planète et couvrant 80 % de la biodiversité mondiale.

Nous appelons l’humanité à prendre des mesures pour protéger le caractère sacré de l’eau, de l’air, de la terre, du feu, du cycle de la vie et de tous les êtres humains, végétaux et animaliers. Il est vital de transformer notre approche de la nature en l’envisageant non comme une propriété, mais un sujet de droit, garante de la vie.

Partout dans le monde les droits des peuples indigènes et de la nature sont bafoués, des leaders indigènes sont assassinés. Des millions de nos frères et sœurs ont été tués pour prendre le contrôle de leurs territoires et on continue à nous détruire avec de belles paroles et de l’argent, cette malédiction du monde.

Cent terribles premiers jours

Aujourd’hui nous sommes particulièrement inquiets de la situation au Brésil, depuis l’élection du nouveau président Jair Bolsonaro. Depuis cent jours nous vivons les prémices d’une apocalypse, dont les peuples indigènes sont les premières victimes. Dès le premier jour de son entrée au pouvoir, il s’est attaqué à la Fondation nationale de l’Indien (Funai), qui garantit le droit à la terre des peuples indigènes du Brésil, en transférant sa compétence en matière de démarcation des terres traditionnellement occupées par les peuples indigènes au ministère de l’agriculture, qui défend les intérêts de l’agrobusiness.

Que cela soit clair : nous sommes catégoriquement opposés à toute déforestation, toute plantation de soja ou tout élevage de bétail sur les terres indigènes. Nous cultivons la terre pour nourrir nos peuples et non pour nourrir des animaux à l’autre bout du monde. Nous ne sommes pas des animaux, nous sommes des êtres humains, nous nous nourrissons d’alimentation traditionnelle saine, sans produits chimiques.

Le gouvernement de Bolsonaro menace le système de santé déjà fragile établi aux peuples indigènes et met en danger leur vie en ayant autorisé 86 nouveaux pesticides dès les deux premiers mois de son arrivée au pouvoir. Alors que de 2010 à 2016, les autorisations ont toujours été inférieures à vingt par an. Selon M. Bolsonaro « les questions environnementales entravent l’industrie agroalimentaire ».

Ce gouvernement veut s’accaparer toute l’Amazonie, la saigner encore davantage en construisant de nouvelles routes et des voies ferroviaires. Alors que l’Amazonie est vitale pour l’humanité, et que les peuples indigènes sont les premiers gardiens de cette nature, il tente de nous couper de nos soutiens internationaux en menaçant d’expulser les organisations alliées du pays, au prétexte d’ingérence et d’atteinte à la souveraineté.

Sanctuariser les forêts primaires

Jair Bolsonaro veut aussi relancer la construction des grands barrages et vient de livrer par décret les terres indigènes à l’industrie minière, qui ne laisse que mort et destruction sur son passage. Cette liste non exhaustive est le symptôme de toutes les agressions que les peuples indigènes du Brésil ont eu à subir durant ces cent terribles premiers jours, marqués par une augmentation significative de la déforestation.

Il est clair que nous refusons totalement cette vision capitaliste sur nos terres parce qu’elle détruit non seulement la nature et nos modes de vie, mais anéantira aussi à terme celle de tous les peuples du monde !

Les nombreuses entreprises et les Etats qui contaminent l’environnement avec des produits toxiques sont responsables d’écocide. Il est donc temps de mettre en œuvre une transition juste en tenant compte des savoirs traditionnels et sacrés des peuples indigènes, pour passer de l’économie des combustibles fossiles à une énergie 100 % propre et renouvelable. Nous exigeons également l’interdiction de toute nouvelle exploration et exploitation de pétrole, sables bitumineux, gaz et pétroles de schiste (notamment par la fracturation hydraulique), de charbon, d’uranium, de gaz naturel, y compris pour les infrastructures de transport.

De même il est vital de sanctuariser de toute urgence la totalité des forêts primaires de la planète qui sont traditionnellement sous la garde des peuples indigènes, puisque l’Organisation des nations unies a déjà reconnu que leur présence est un facteur garantissant la non-détérioration de ces environnements inestimables.

Les peuples indigènes ne peuvent être expulsés de ces espaces. Ces écosystèmes ne doivent pas non plus être utilisés dans le cadre d’un marché de compensation carbone, qui quantifie et transforme en marchandise la Terre Mère, ni de tous mécanismes de compensation de la biodiversité et de financiarisation de la nature.

Nous appelons à des solutions concrètes qui reconnaissent les droits des peuples indigènes et de la nature pour la survie de tous. Nous appelons les dirigeants du monde, les Etats, les Nations unies et la société civile à amorcer une réflexion visant à abandonner progressivement les systèmes capitalistes et juridiques hérités de l’époque coloniale pour les remplacer par de nouveaux principes. Nous devons évoluer vers un paradigme basé sur la pensée et la philosophie indigènes, qui accorde des droits égaux à la Nature et qui honore l’interrelation entre toute forme de vie. Il n’y a pas de séparation entre les droits des peuples indigènes et les droits de la Terre Mère.

Il est plus que jamais urgent que le monde adopte une Déclaration universelle des droits de la Terre Mère, et que tous les Etats ratifient et appliquent rigoureusement la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail, qui garantit à tous les peuples indigènes une consultation libre, préalable et éclairée sur les sujets qui les concernent.

Pas d’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosul

Et parce que l’Union européenne (UE) est le deuxième partenaire commercial du Brésil, offrant un immense marché pour les exportations agricoles brésiliennes, nous appelons celle-ci à mettre en place une traçabilité irréprochable garantissant que les produits vendus dans ses pays membres ne détruisent pas les forêts de la planète, ne justifient pas l’accaparement des terres et ne violent ni les droits des peuples indigènes ni les droits de l’homme et les droits de la Terre Mère.

Nous appelons aussi les citoyens européens à une exigence sans faille sur leur consommation et à une opposition de principe à un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosul [marché commun composé de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay, de l’Uruguay et de quelques pays associés], qui ne ferait qu’aggraver encore davantage la situation des peuples indigènes et des défenseurs de l’environnement.

Nous avons la responsabilité de dire à la terre entière que nous devons vivre en paix les uns avec les autres et avec la Terre Mère, pour assurer l’harmonie au sein de ses lois naturelles et de la création. Nous souhaitons qu’il en soit encore ainsi, avec le soutien de tous les peuples du monde, notamment de tous les citoyens. Rejoignez notre Alliance des gardiens de Mère Nature pour œuvrer et veiller tous ensemble aux générations futures.

Les signataires : Cacique Ivanice Pires Tanone, peuple Kariri Xocó, Brésil ; Cacique Paulinho Paiakan, peuple Kayapó, Brésil ; Cacique Ninawa Inu Pereira Nunes Huni Kuí, peuple Huni Kuí, Brésil ; Jorge Quilaqueo, peuple Mapuche, Chili ; Mindahi Crescencio Bastida Munoz, peuple Otomi, Mexique ; Magdalene Setia Kaitei, peuple Maasaï, Kenya ; Hervé Assossa Soumouna Ngoto, peuple Pygmée, Gabon ; Vital Bambanze, peuple Batwa, Burundi ; Tom B.K. Goldtooth, peuple Navajo, Etats-Unis ; Mihirangi Fleming, peuple Maori, Nouvelle-Zélande ; Edouard-Jean Itopoupou Waia, peuple Kanak, Nouvelle-Calédonie ; Hairudin Alexander, peuple Dayak, Indonésie ; Su Hsin, peuple Papora, Taïwan; Appolinaire Oussou Lio, peuple Tolinou, Bénin.

Membres de l’Alliance des gardiens de Mère Nature, créée en 2015 pendant la COP 21, à l’initiative du chef du peuple Kayapo en Amazonie brésilienne, Raoni.

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