Appel international contre les bonus

«Finis les excès, finies les surenchères… La moralisation de la finance internationale est en marche !» Il y a juste quatre mois, le G20 annonçait solennellement que l’on allait empêcher les pratiques qui avaient conduit au désastre et que le «monde d’après» ne ressemblerait plus au «monde d’avant» !

Les derniers épisodes concernant les rémunérations dans les banques apparaissent comme un pied de nez à ceux qui prétendaient «refonder le capitalisme». Deux exemples montrent l’étendue de la mystification : la banque américaine Goldman Sachs provisionne 11,3 milliards de dollars de bonus, après avoir bénéficié de 10 milliards d’aide publique ; la BNP provisionne 1 milliard d’euros pour le même objet, après avoir reçu de l’Etat 5,1 milliards de fonds propres.

La réaction des responsables politiques est pour le moins déconcertante. Pour la ministre française de l’Economie, il est «impossible d’agir au niveau d’un seul Etat», de crainte de créer une «distorsion de concurrence avec les autres places financières». De son côté, le président américain, apparemment pessimiste, confesse : «On n’a pas l’impression que ce qui s’est passé ait provoqué un changement de culture ou d’attitude.» Devant de telles attitudes, il est légitime de se poser la question : sont-ils hypocrites ou impuissants ? Hypocrites, s’ils ne veulent pas avouer qu’ils ne souhaitent pas vraiment bouleverser les règles du système ; impuissants, s’ils sont paralysés par la toute puissance des acteurs arrogants de la finance internationale.

Faut-il leur rappeler que le rôle de l’Etat est de fixer des règles, de mettre en place des mesures de rétorsion lorsque celles-ci ne sont pas respectées ? Se contenter de donner des conseils de bonne conduite est aussi inconséquent que de recommander à un drogué de réduire sa consommation, dans l’intérêt de sa santé et dans celui de son entourage !

Car c’est bien de drogue qu’il s’agit ici. Les opérateurs avisés et habiles que sont les traders doivent être motivés par l’appât des gains mirobolants qu’on leur promet, avec le système des bonus (1), qui multiplie leur rémunération fixe par 5, 10, voire plus. Quant au fonctionnement lui-même du système financier et bancaire international, il est lui aussi dépendant de la recherche systématique du profit et du rendement, y compris en créant des produits sans lien avec l’économie réelle et en exploitant la moindre faille de la réglementation internationale.

S’il n’y est pas mis fin, ces comportements, largement dénoncés, même aux Etats-Unis (2), peuvent conduire à nouveau vers des errements qui accentueront dangereusement les déséquilibres de l’économie mondiale. De plus, en mettant au grand jour les excès et l’immoralité de ces pratiques, ils risquent de pousser à bout ceux qui souffrent des effets de la crise dont ils sont en grande partie responsables. Comment pourront-ils longtemps accepter que l’argent public, le leur - celui des contribuables - soit ainsi bradé ou utilisé à des fins d’enrichissements indus ? Combien de temps encore supporteront-ils que, malgré les aides de l’Etat aux banques (3), celles-ci préfèrent engranger des bénéfices et distribuer des bonus, plutôt que de remplir leurs obligations de prêt à l’économie et aux particuliers ?

Les solutions existent, si l’on veut bien prendre la mesure du danger de l’inaction ou des remèdes homéopathiques. Par exemple :

- la limitation de la rémunération variable des traders, en pourcentage de leur rémunération fixe ;

- la fixation d’un impôt dissuasif sur les hauts revenus (aux Etats-Unis, le taux marginal d’imposition des revenus supérieurs à un million de dollars était supérieur à 90 % dans les années 1930) ;

- le contrôle strict de l’activité des banques par l’Etat, chaque fois qu’il est présent dans leur financement ; c’est ce que préconise la Cour des comptes ;

- l’instauration d’une taxe sur l’ensemble des réseaux de la finance internationale, à l’instar de la taxe Tobin (qui se limitait au seul marché des changes). Les sommes ainsi prélevées contribueraient au financement des grandes causes internationales : protection de l’environnement, lutte contre le réchauffement climatique, politique de l’eau, lutte contre la faim…

N’oublions pas enfin que la plupart des mesures doivent être prises au niveau de tous les Etats, faute de quoi les intervenants des marchés financiers déporteront les risques vers les zones non réglementées, ce qui affaiblira considérablement, voire annihilera l’effet des dites mesures.

D’ici la réunion du G20 de Pittsburg, fin septembre, la pression internationale doit se faire plus forte sur les responsables politiques de la planète, qui ne peuvent plus se résigner à l’hypocrisie ou à l’impuissance. Il faut redonner du sens à l’internationalisme ! Les opinions publiques, relayées par leurs organisations les plus engagées et par les médias (4), doivent dénoncer, proposer et refuser d’accepter que ce système fou conduise à d’autres folies.

Paul Quilès, ancien ministre.

********************

(1) Mal nommé puisque, contrairement au principe qui prévaut dans les assurances, il n’y a pas de malus.

(2) Rapport Cuomo.

(3) 18,7 milliards d’euros de fonds propres.

(4) Lire la pétition sur www.facebook.com/group.php?gid=143635741468