Appliquons le code d’Hammurabi: libérons les esclaves grecs en 2018

La Grèce va-t-elle payer sa prochaine échéance?

Va-t-elle accepter le prêt avec le compromis portant sur la réforme de la TVA, celle des retraites et le niveau d’excédent budgétaire que le pays doit cibler?

Derrière cette question du niveau d’excédent budgétaire se cachent les privatisations.

L’offensive des créanciers pour déposséder le peuple grec de ses biens communs est des plus brutales. Pourtant, malgré ces privations, la Grèce ne pourra rembourser sa dette.

Pour les créanciers, il s’agit de faire pression pour privatiser. Ils n’envisagent surtout pas de remise de dette, même si la dette n’est pas remboursable.

Or, une fois les terres, l’eau, les infrastructures, l’énergie et les maisons devenues propriété de fonds internationaux et de banques, l’esclavage sera assuré pour la descendance des Grecs.

Les Grecs ne peuvent pas rembourser leur dette. Et, bien plus, les dettes mondiales ne peuvent être remboursées.

Trois années de production de richesses mondiales pour rembourser les dettes, est-ce raisonnable? D’autant que, comme l’a montré Piketty, les débiteurs possèdent peu de richesses, et rarement leur outil de travail. Le montant des dettes semble sans limite car rien n’empêche un créancier d’augmenter le taux d’intérêt quand aucun autre créancier ne veut prêter à l’insolvable. En Grèce, les taux ont flirté avec les 50% d’intérêt par an. Or, un taux d’intérêt élevé signifie que le créancier a peu de chances de percevoir sa créance. Il serait légitime de ne pas exiger une dette consentie à un taux d’intérêt incohérent avec les capacités de remboursement du débiteur.

Il y a des dettes impossibles à rembourser. Si on ne pratique pas la remise de dette, on impose l’esclavage au débiteur.

Historiquement, les paysans ont toujours connu des années où la soudure jusqu’à la récolte suivante nécessitait un endettement. Les plus riches en profitaient, par le taux d’intérêt ou l’exigence d’un remboursement sans délai, pour rendre esclaves les débiteurs. Solon aurait lancé la démocratie athénienne en fédérant les nombreux esclaves grecs. D’anciens textes religieux rappellent l’intérêt d’un pays où les créanciers, par la remise de dette, favorisent la sécurité et la paix (Lévitique 25). Il y a 4000 ans, le plus vieux texte de loi du monde, le code du roi Hammurabi, énonce des limites claires pour empêcher les créanciers de s’entourer d’esclaves en grand nombre et de devenir des seigneurs concurrents de l’Etat.

Que dit ce code aujourd’hui aux dirigeants européens qui pressent la Grèce? «Le créancier ne peut prendre de l’orge dans la maison du débiteur sans son consentement (art. 113), pas plus qu’il ne peut saisir un bœuf (art. 241), ce qui implique que l’on ne peut prendre au débiteur ni ses moyens de travail, ni ceux de sa survie. Que faisons-nous en imposant les privatisations aux Grecs?

Le code mésopotamien ajoute que, si le créancier peut seulement saisir le débiteur, sa femme, ses enfants (art. 115), ces gens ne sont pas dans la condition d’esclave: non seulement parce qu’ils seront automatiquement libérés au bout de trois ans (art.117) mais aussi parce que, s’ils meurent dans la maison du créancier en raison de mauvais traitements, le créancier le paiera de la mort d’un des siens (art. 116). Cela sonne étrangement pour nous quand on sait comme les conditions d’accès aux soins se sont dégradées en Grèce pour les plus pauvres.

Qui s’est enrichi sur la dette publique grecque? Avec la complaisance des électeurs et la corruption, les dirigeants et les oligarques se sont gavés avec les contrats militaires ou de travaux publics permis par l’endettement et gardent leur fortune cachée. Les classes moyennes grecques commencent à payer la facture par leur transformation en classe pauvre, voire misérable. Si les citoyens grecs sont en partie responsables d’avoir laissé s’accumuler les déficits et les dépenses publiques et doivent payer, comment et dans quelle mesure?

Draghi, Juncker, Lagarde et leurs donneurs d’ordres, les créanciers, dans leur logique d’imposer à la Grèce le remboursement total de sa dette, choisissent de légaliser l’esclavage. Pourtant le bon sens commanderait d’au moins préserver l’accès à la nourriture et l’outil de travail du débiteur. Et la sagesse devrait conduire à la remise des dettes impossibles à rembourser.

Les débiteurs grecs peuvent régler leur dette en vivant chichement. Mais il faut limiter cette frugalité à 3 ans pour leur permettre de réinvestir leur avenir et de libérer leurs enfants de ce fardeau.

Les Grecs ne doivent plus être esclaves de leur dette en 2018. Au moins!

Denis Dupré, Enseignant-chercheur en éthique, développement durable et finance, IAE de Grenoble – Cerag et Inria (équipe STEEP)

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