Après la guerre en Ukraine

Un camion transporte un char endommagé, au milieu de l'attaque de la Russie contre l'Ukraine, près de Donetsk en Ukraine le 10 octobre 2022. (Zohra Bensemra/REUTERS)
Un camion transporte un char endommagé, au milieu de l'attaque de la Russie contre l'Ukraine, près de Donetsk en Ukraine le 10 octobre 2022. (Zohra Bensemra/REUTERS)

L’Ukraine, les Occidentaux et la démocratie l’emporteront. Quoique fasse ou ne fasse pas Vladimir Poutine, malgré ses crimes de guerre et ses menaces nucléaires, malgré ses bombardements des villes ukrainiennes et la violence de sa répression en Russie même, il ne peut plus gagner cette guerre parce que ses troupes sont démoralisées et reculent sur tous les fronts, que ses ressources s’amenuisent, que sa «mobilisation partielle» a ouvert une crise politique, que ses alliés deviennent circonspects, que l’Asie centrale s’émancipe à la faveur du bourbier dans lequel il s’est plongé et que son premier cercle panique et se déchire publiquement.Une fin de règne s’est ouverte à Moscou mais pour limiter les souffrances, chaos et dangers dont elle est porteuse, pour que la page se tourne au plus vite et qu’enfin les armes se taisent, il faut accélérer la défaite de ce dictateur aux abois et simultanément proposer à la Russie un avenir de paix et de coopération.

Ne pas répéter l’erreur du traité de Versailles

Il faut, d’une part, livrer plus d’armes et plus vite à l’Ukraine et, de l’autre, jeter les bases de l’après-guerre car, une fois leur victoire scellée, l’Ukraine et ses alliés auront un choix à faire. Les démocraties pourront soit répéter l’erreur du traité de Versailles soit se souvenir du succès de la main tendue à l’Allemagne en 1947. Elles pourront ou bien vouloir punir la Russie comme elles avaient puni l’Allemagne en 1918 ou bien l’intégrer au front des démocraties comme elles avaient su le faire avec l’Allemagne de l’Ouest.

Dans un cas, les démocraties avaient semé les graines du ressentiment et contribué par-là à l’essor du nazisme, puis au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Dans l’autre, elles avaient permis l’affirmation d’une démocratie si enviable que le camp de la liberté en avait été renforcé et que les Allemands de l’Est avaient fini par faire tomber le Mur.

Entre la cécité et l’intelligence, entre la vengeance et la réconciliation, l’Ukraine et ses alliés tendront vers le choix à faire, celui de l’avenir, mais encore faut-il y préparer les esprits dans chacun des deux camps. Parce que leur victoire approche, c’est dès maintenant que les démocraties doivent jeter les bases de l’après-guerre en sachant dire aux Russes sept choses essentielles.

Le versement d’indemnités à l’Ukraine

La première est qu’ils devront verser des indemnités de guerre à l’Ukraine pour la vie de chacun de ses fils et chacun de ses biens détruits et qu’ils le devront d’autant plus que leurs ressources naturelles le leur permettront.

La deuxième est que nous les considérons comme Européens car ils le sont par leur géographie et plus encore par leur culture, leur histoire et leur séculaire appartenance au concert des nations européennes.

La troisième est qu’aucun des pays occidentaux n’occupe ou n’entend annexer un seul centimètre carré du territoire russe et que si l’Alliance atlantique s’est étendue à l’Est, c’est parce que les anciens satellites et ex-terres de l’Empire aspiraient à la protection de l’Otan contre une Russie qui n’a jamais rien fait pour les rassurer.

La quatrième est que les affinités électives de la Russie sont européennes et non pas chinoises et que la vassalisation de la Russie par la Chine serait tout aussi dommageable aux Russes qu’à l’Union européenne.

La cinquième est que plus durera l’agression contre l’Ukraine, plus la Fédération de Russie ira à un fractionnement auquel l’Union européenne n’aurait pas plus intérêt que les Russes tant l’apparition de micro-Etats théocratico-mafieux dans le Caucase et l’instauration d’un protectorat chinois sur la Sibérie nuiraient à tout notre continent.

La sixième est que nos économies, nos ressources et nos capacités sont complémentaires mais que nous ne pourrions fonder une coopération que sur la pleine et entière reconnaissance des frontières internationales ; le respect de la souveraineté des nations ; la liberté de leurs alliances politiques et militaires et des garanties de sécurité réciproques.

Un peuple qui aspire à la liberté

Quant à la septième chose à dès maintenant dire aux Russes, elle est que nous les savons muselés par la répression mais aspirant à la liberté car il n’y a pas de peuple pour préférer l’arbitraire du pouvoir à la sécurité du droit.

Pour notre continent, ce sont là les sept piliers de la sagesse mais ne nous faisons pas d’illusions. Autant les six premiers messages sur la culture commune, les intérêts communs et la nécessité de ne pas laisser la Chine diviser l’Europe seront relativement faciles à faire passer, autant le septième ne le sera pas.

Il ne le sera pas plus en Pologne et dans les Etats baltes qu’en Ukraine parce que les souvenirs de l’Empire et de l’URSS y sont évidemment vifs, que les exactions auxquelles l’armée russe se livre aujourd’hui viennent les raviver cruellement et que l’Europe centrale soupçonne l’Europe de l’Ouest d’avoir toujours voulu s’entendre avec la Russie sur son dos.

Au cœur de l’Europe, la tentation est forte de reconstruire le mur aux frontières mêmes de la Russie dans l’espoir de fermer les portes à ce qui ne pourrait être qu’un empire du mal destiné à le rester. C’est là l’œuvre de Vladimir Poutine. Non content d’avoir brisé toute opposition en Russie et porté la mort et les destructions en Ukraine, il a fait oublier qu’en 1990, aucun Russe n’avait souhaité opposer la force à l’éclatement de l’Empire, que c’est Mikhaïl Gorbatchev, un Russe, qui avait fait souffler le vent de la liberté sur l’URSS et que face à la possibilité du changement, les Russes l’avaient accéléré et non pas repoussé.

Rien ne ressemble aujourd’hui plus aux jeunes de Paris ou Berlin que ceux de Saint-Pétersbourg ou Moscou. La jeunesse russe n’est nullement amoureuse de la dictature et friande de guerres. C’est avec elle que nous pourrons construire une paix durable en Europe mais pour réussir ce pari, c’est sans plus attendre qu’il faut penser l’après-guerre.

Par Bernard Guetta, Journaliste, député européen.

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