Après la première guerre mondiale, la réconciliation a été considérée comme le seul besoin de panser les plaies du passé

Des vaincus qui ne sont pas pris en compte, voire humiliés, des réparations de guerre considérables et des acteurs qui défendent des intérêts particuliers à court terme plutôt qu’une vision durable. Il y a cent ans, au terme de la première guerre mondiale – dont l’armistice est commémoré dimanche 11 novembre – les anciens belligérants ont montré par défaut l’importance de réussir une réconciliation après un conflit dévastateur. En alimentant les conditions qui mèneraient à une seconde conflagration planétaire moins d’une génération plus tard.

Parmi les négociateurs se retrouvaient seulement des hommes, âgés, voire très âgés pour certains d’entre eux. Une image qui ne reflétait pas la diversité des populations. Qu’a-t-on appris de cette sortie de quatre ans d’affrontements ? La question est-elle résolue aujourd’hui ? Tant s’en faut. Dans un environnement international marqué surtout par des guerres civiles contrairement à il y a cent ans, les processus sont plus inclusifs qu’à l’époque, mais beaucoup reste encore à accomplir. Preuve en est, pour la première fois depuis 1970, la décennie entamée en 2010 a vu davantage de conflits démarrer que s’éteindre.

1 % de l’aide au développement pour la réconciliation

Pire encore, près de 60 % des guerres civiles entre 1945 et 2009 se sont à nouveau embrasées après la fin des hostilités et 50 % dans la décennie qui a suivi. Or, l’intérêt à investir dans la réconciliation est sans conteste, mais il est sous-estimé. La violence dans le monde coûte des milliards d’euros. Par contraste, largement moins de 1 % de l’aide au développement alimente les efforts de réconciliation. Alors même que chaque euro injecté dans la consolidation de la paix évite d’en perdre 16 dans les conflits ou autres affrontements.

Pour convaincre davantage, y a-t-il des recettes qui pourraient s’appliquer à tous les contextes et garantir une sortie de crise à tous les coups ? L’Organisation des Nations unies (ONU), la communauté internationale et les Etats luttent depuis des décennies pour les trouver. Plus qu’une solution catégorique, les études de plusieurs cas depuis près de trente ans, décortiquées dans un rapport publié au début de novembre à Genève par la Fondation Kofi Annan et l’organisation internationale de consolidation de la paix Interpeace, apportent des pistes, des ingrédients. Trop souvent, y compris après la première guerre mondiale, la réconciliation a été considérée comme le seul besoin de panser les plaies du passé.

Sans miser plutôt sur la prévention d’un nouveau conflit pour garantir la cohésion de la population à plus long terme. Comme il y a cent ans, le manque d’élargissement des processus à toutes les composantes de la société constitue aujourd’hui encore une barrière vers un climat d’apaisement durable.

La réconciliation demande du temps

Premier enseignement, la réconciliation demande du temps et ne peut être laissée qu’aux seuls intérêts des élites politiques ou des belligérants armés et responsables de la violence. Au Guatemala, par exemple, la persistance « aux affaires » d’acteurs politiques et économiques après les accords de paix a contribué à maintenir enracinées les raisons du conflit et à pourrir la situation. Il en résulte une violence diffuse et pandémique dans l’ensemble de la société. Malgré ce climat, le contexte guatémaltèque a aussi incarné la contribution importante que peuvent apporter les femmes.

Si elles sont aussi parfois sources de tensions dans certains processus, elles ont pu, dans ce cas comme dans d’autres, dépasser leurs différences (sociales ou autres) pour relayer ensemble leurs revendications en faveur de davantage de droits. La mise en œuvre de 34 mesures prévues pour elles dans l’accord s’est toutefois heurtée à une société patriarcale encore très présente.

La réussite d’une réconciliation appelle par conséquent à l’établissement d’une coalition d’acteurs à différents niveaux, dont les femmes mais aussi les jeunes, afin d’ancrer les efforts dans la société au-delà des divergences de profils.

Les populations étaient absentes du règlement de la Grande Guerre. Dans certaines régions de Colombie, en revanche, un dialogue au-delà des clivages politiques et sociaux a abouti dès les années 1990 à un effort local commun et une identité rassemblée, bien avant l’accord de paix de 2016. Autre indicateur, les priorités des citoyens et des sociétés dans les pays qui sortent de conflits changent à mesure que la fin des violences semble devenir de plus en plus ancienne, comme l’Allemagne des années 1930.

Plus récemment, le cas sud-africain constitue un laboratoire sur cette question. D’une coexistence pacifique, l’objectif de la réconciliation pour la population est passé à terme à un rééquilibrage économique et social entre groupes ethniques dans un pays qui reste toujours le plus inégalitaire au monde.

Inclusion des groupes antagonistes

Outre la réduction de ces écarts, la logique d’un travail de rapprochement entre groupes, antagonistes durant le conflit, passe par le renforcement des institutions, pas pour la galerie mais comme moteur de rétablissement de la confiance. Là encore, des exemples en attestent. La police bicommunautaire en Irlande du Nord a permis de rassembler policiers catholiques et protestants autour d’une action commune, renforcée par un dialogue avec les victimes et les anciens combattants.

Tout ce dispositif d’inclusion et de décloisonnement ne saurait masquer une exigence trop souvent négligée, celle des blessures morales individuelles et collectives. Souvent qualifiée d’exemple, la justice transitionnelle au Rwanda a parfois été ciblée pour ne pas avoir répondu aux besoins d’assistance psychosociale des victimes. Dans cet environnement, quelle place pour la communauté internationale ? Il y a cent ans, celle-ci allait décoller sur les gravats du plus grand conflit observé alors. A une époque où elle est remise en cause par certains Etats qui se replient sur eux-mêmes, elle doit plus que jamais apporter sa contribution à une paix durable érigée désormais en cap par l’ONU.

Nous devons collectivement déployer autant d’efforts et d’énergie vers cet objectif que ceux que certains semblent vouloir investir dans des conflits. Avec humilité et en considérant que chaque situation demandera une approche unique, le règlement du passé et le rétablissement de la confiance au sein des sociétés affectées. Le Yémen et la Syrie constitueront les prochains défis pour concrétiser cet appel à l’action. Lorsque les armes seront déposées, il faudra soigner les plaies morales des citoyens. La paix durable passe par ce dispositif.

Alan Doss (Président de la Fondation Kofi Annan) et Scott Weber (Président d’Interpeace)

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