Après le Brexit, la primauté de l’anglais peut-elle perdurer alors qu’il ne figure plus parmi les langues officielles de l’Union

L’Union européenne (UE) va-t-elle continuer à s’exprimer majoritairement en anglais après que le Royaume-Uni l’a quittée ? On le sait, plus de 90 % des documents du Conseil européen et de la Commission, ainsi que la plupart des communications orales des institutions européennes, privilégient la langue anglaise. Cette primauté peut-elle perdurer alors qu’avec le Brexit l’anglais arrive désormais en 17e position des langues maternelles les plus parlées par les citoyens de l’UE ? Cette primauté peut-elle perdurer alors que l’anglais ne figure plus parmi les langues officielles déclarées par les Etats membres – le Royaume-Uni étant le seul des Vingt-Huit à avoir demandé, lors de son adhésion, que celui-ci en fasse partie ?

Je ne suis pas pour la guerre des langues. Je connais trop les bienfaits et la richesse, moi qui parle les quatre langues de mon pays [le Rwanda], de leur heureuse cohabitation. Je ne crois pas qu’il soit possible, ni même souhaitable, que l’anglais disparaisse des cénacles européens. Cela entraînerait un immense désordre et des coûts faramineux, priverait l’Europe d’une part de son identité et réduirait gravement l’ouverture au monde de ses citoyens. Cela adresserait un signal de repli et d’antagonisme, dont nous n’avons pas besoin aujourd’hui.

Mais je crois nécessaire, en revanche, de procéder à un rééquilibrage entre les langues. Un rééquilibrage qui, sans exclure l’anglais, donnerait toute sa place au français, langue parlée par 130 millions d’Européens et dans laquelle se reconnaissent 19 des 27 Etats de l’UE, ceux qui ont adhéré à l’Organisation internationale de la francophonie.

Mesures de bon sens

J’y crois parce que l’essence de l’Europe, comme l’écrit Milan Kundera, est de représenter « le maximum de diversité dans le minimum d’espace ». Parce que le pluralisme des langues et des cultures est inscrit au cœur du contrat social européen. Parce que l’adhésion et la confiance des citoyens dans l’UE en dépendent. J’y crois parce que le multilinguisme est un atout pour les individus et pour les sociétés. C’est un bien précieux dont nous devons prendre soin partout dans le monde. J’y crois parce que la francophonie est un fait mondial, que l’Europe ne peut pas négliger. Les francophones sont aujourd’hui plus de 300 millions dans le monde. Ils devraient être plus de 700 millions au milieu du siècle. L’UE, qui veut être l’un des grands acteurs de la scène mondiale, doit être en mesure de leur parler.

Je propose, en conséquence, deux mesures simples, qui auraient dû être adoptées depuis longtemps. Deux mesures concrètes, aisées à mettre en œuvre. La première : exiger des fonctionnaires européens, au moment de leur recrutement, qu’ils maîtrisent, outre leur langue maternelle, deux autres langues parmi les plus utilisées de l’UE. La seconde : que l’on se mette d’accord sur un pourcentage de textes officiels qui seront rédigés dans des langues autres que la langue majoritaire, ainsi que sur la date à laquelle cet objectif devra être réalisé. Ce sont des mesures de bon sens, des mesures de pluralisme élémentaire, en parfaite cohérence avec l’esprit et la lettre des traités.

J’appelle enfin les fonctionnaires et les responsables des pays de l’UE qui ont adhéré à l’Organisation internationale de la francophonie à s’exprimer en français dans les enceintes européennes, chaque fois qu’ils ne le font pas dans leur langue nationale. Cela devrait être désormais un objectif à atteindre. J’en suis persuadée : une Europe plus francophone participera mieux à l’irréductible diversité du monde.

Louise Mushikiwabo est secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie depuis janvier 2019. Elle était auparavant ministre rwandaise des affaires étrangères et de la coopération (2009-2018).

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