Après le Brexit : une société clivée, un territoire morcelé

Les résultats de ce référendum ont montré une divergence de votes très nette entre l’Angleterre (leave : 53,2 %) et l’Ecosse (remain : 62 %). Après la victoire étriquée du non à l’indépendance en septembre 2014 et le triomphe du parti nationaliste lors des élections de mai 2015, les Ecossais affirment une nouvelle fois leur singularité tout en montrant qu’ils ne partagent pas forcément les mêmes perspectives géopolitiques que les Anglais. Ces divergences fondamentales entre les différentes nations qui composent le Royaume-Uni, posent ainsi la question de l’avenir même de l’union. Les nationalistes ont annoncé, avant le vote, qu’en cas de Brexit, un nouveau référendum sur l’indépendance devrait être organisé. Si le Royaume-Uni entre dans une période de transition économique et diplomatique très compliquée au niveau international, il pourrait entamer une transition institutionnelle et politique interne encore plus incertaine.

En effet, en marge du Brexit, l’Irlande du Nord pourrait connaître une nouvelle période d’instabilité. Comme l’Ecosse, l’Irlande du Nord a voté majoritairement contre le Brexit, mais si le remain est arrivé en tête partout en Ecosse, l’Irlande du Nord s’est retrouvée divisée. Les territoires où le leave est majoritaire correspondent aux circonscriptions où sont élus des députés loyalistes et unionistes, et où les protestants sont majoritaires. Alors que les territoires où le remain dépasse les 50 % sont ceux qui élisent des députés républicains et nationalistes, et où les catholiques sont majoritaires, souvent frontaliers avec la République d’Irlande. A l’annonce des résultats, Sinn Féin, le principal parti nationaliste, a réclamé la tenue d’un référendum sur l’union avec l’Irlande. Dans ce contexte, une montée des tensions intercommunautaires est redoutée. Ce clivage pose une nouvelle fois la question de l’avenir de la province, mais il montre aussi des divergences profondes dans les perceptions des conséquences de la paix depuis la fin des années 90. De nombreux protestants unionistes, issus des classes populaires, s’estiment être les grands perdants du processus de paix, soutenu et financé en grande partie par l’Union européenne (UE), alors que les catholiques auraient profité de leurs liens privilégiés avec le Sud. Si d’un côté le Brexit, et donc la remise en question des relations avec la République d’Irlande, et le rétablissement d’une frontière inquiètent, de l’autre, voter leave est une forme de contestation, voire de révolte, de la part de citoyens qui se sentent exclus d’un système économique et social internationalisé, incarné par l’UE.

L’analyse des résultats montre aussi une dimension sociale déterminante dans le vote. Ainsi, les territoires locaux, où le vote remain a été le plus fort en Angleterre, correspondent à des espaces urbains souvent centraux où se concentrent les activités de service à haut rendement, liées à la finance et au commerce international, et les universités, du cœur de Londres à celui de Manchester, en passant par Cambridge et Oxford. A l’inverse, le vote leave a fait ses meilleurs scores dans des territoires en situation périphérique ou ressentis comme tel. C’est le cas de nombreuses petites ou moyennes villes du Nord (Hartlepool, Barnsley, Wigan, etc.) ou des anciennes vallées minières du pays de Galles, vieux territoires industriels restés à l’écart d’une reconversion et marqués par de profonds problèmes sociaux persistants. C’est aussi le cas sur toute une frange Est de l’Angleterre, de l’estuaire de la Tamise au Lincolnshire, où se succèdent espaces périurbains concentrant des populations pauvres et exclues de Londres, stations balnéaires oubliées, anciennes petites villes industrielles et portuaires, et espaces ruraux monotones. Ces territoires correspondent à la zone de force de l’Ukip, le principal parti populiste anti-UE.

La géographie du leave recoupe souvent celle de la pauvreté, à l’exception de certains territoires londoniens où les minorités ethniques sont majoritaires et où le remain est loin devant. Les premières enquêtes montrent une surreprésentation des personnes aux revenus très modestes et aux faibles qualifications dans l’électorat du leave, comme dans celui de l’Ukip. Elles montrent que, pour beaucoup, voter pour le Brexit a signifié voter contre une Europe aux mains de technocrates, qui coûte cher à l’économie du pays et qui favorise l’immigration, et qui n’agit pas pour les intérêts des classes populaires. Le vote leave a ainsi récolté toutes les frustrations et ressentiments d’un électorat qui se sent oublié, marginalisé et méprisé.

Si tout a été mélangé et caricaturé à propos de l’immigration pendant la campagne, de l’accueil des réfugiés à la libre circulation des travailleurs européens, cette question alimentée par des arguments populistes a dominé les débats et a sans doute conditionné les résultats dans certains territoires. Ainsi, c’est à Boston, petite ville du Lincolnshire, que le vote leave a été le plus fort de tout le Royaume-Uni, récoltant 75,6 % des votes, et c’est justement la localité où la proportion de ressortissants est-européens est la plus importante de tout le pays selon le recensement de 2011. Ils représentent 10,6 % de la population dans la ville, et sont venus pour la grande majorité d’entre eux de Pologne, de Lituanie et de Lettonie, après l’adhésion de leurs pays à l’UE (2004), pour travailler dans les exploitations agricoles ou dans les entreprises agroalimentaires. Boston a souvent été cité comme l’un des territoires où l’intégration de ces ressortissants est-européens est la plus compliquée. Le prochain gouvernement devra garantir à son pays une sortie de l’UE dans les meilleures conditions, mais surtout ressouder une société et des nations britanniques plus que jamais divisées.

Mark Bailoni, géographe et maître de conférence à l'université de Lorraine.

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