Après le déconfinement, réfléchir à une «hibernation humaine»

Chaque jour dans le monde entier, des milliards d’individus font l’épreuve d’une relation singulière entre leur soi – c’est-à-dire leur immunité – et un virus. On tousse, on renifle, on éternue, on a mal à la tête, au ventre, la diarrhée, des nausées, des vomissements. Ces symptômes viennent brutalement nous freiner, parfois nous clouer au sol ou au lit. A bien y regarder, qu’il s’agisse des zoonoses où l’être humain passe en force la barrière du monde sauvage, ou d’une gastro-entérite, une rhino-pharyngite, une grippe, ces évènements relationnels morbides méritent toujours d’interroger nos comportements. Quelle distance, quel rythme se sont rompus au point de nous imposer ce plaquage au sol dont nous nous relevons progressivement avec un sentiment de nettoyage accompli, parfois de renaissance. Les agents infectieux et plus particulièrement les virus sont probablement nos réels gouvernants, codéveloppeurs de l’espèce humaine. Notre génome humain est d’ailleurs largement affecté par des gènes viraux ancestraux, dont le rôle exact dans l’apparition de certaines maladies comme le cancer est un sujet de recherche très actif.

Nous nous interrogeons sur le fait que pendant le confinement, les consultations médicales, en dehors des motifs liés au Sars-CoV-2, ont été désertées. Des unités de médecine vasculaire sont restées en jachère. Les patients ont-ils dégradé leur état de santé en restant dans leur coin, sont-ils décédés en silence ? Une autre hypothèse mérite d’être discutée : le confinement, par certains aspects, peut-il être protecteur par rapport à la survenue d’évènements morbides ? Certains semblent évidents, comme les accidents de la route et orthopédiques. Mais qu’en est-il des évènements vasculaires, des troubles du sommeil, de l’anxiété, des évènements infectieux, de l’évolution des maladies chroniques ? Certes, les violences intra familiales augmentent, comme certaines addictions. De plus, si le confinement devient un motif pour ne plus bouger, les troubles métaboliques et le surpoids, avec leur lot de complications, sont en embuscade. Au final, certaines personnes se seront coulées dans ce confinement pour tirer les bénéfices de rythmes réadaptés. D’autres n’auront pas pu s’approprier ce réaménagement imposé. Pour tous, cette épreuve aura été l’occasion d’éprouver la distance que nous avons mise entre les rythmes essentiels prévus par l’espèce et certains conditionnements qui nous en éloigne subrepticement.

Les virus nous confrontent à nos excès, nos erreurs de distance, nos dysrythmies. Ils viennent nous informer des mauvais conditionnements qui nous ont éloignés des rythmes que notre espèce a prévu. Nous avons la responsabilité de les synchroniser en maîtrisant un rythme veille-sommeil normal, avec un sommeil nocturne de bonne qualité, des repas réguliers équilibrés, une socialisation mesurée. Ils nous offrent la possibilité de comprendre que plus nous nous éloignons des lois que nos horloges d’organe ont prévues, plus nous nous invitons à la table des joueurs, là où la capacité d’adaptation est la mise, et la vie l’enjeu. Au-delà d’une recherche indispensable sur les traitements médicamenteux et les vaccins qui sauvent des vies, nous pouvons penser différents espaces et moments durant lesquels notre corps récupère, notre immunité tient sa juste place. Ces moments de consciences différentes, dont le sommeil avec ses phases paradoxales est le représentant de choix, permettent de faire aboutir des processus de nettoyage sans en dépasser l’objectif. Des travaux scientifiques vont dans ce sens. Il est possible de penser ces moments comme des besoins en rapport avec une sorte d’héritage lointain de la fonction d’hibernation.

La discontinuité, gardienne de notre santé

Le Sars-CoV-2 impose de comprendre que notre espèce peut encore et toujours bénéficier de moments d’hibernation, qu’il faut avec justesse et modernité apposer comme rythme fondateur, à défaut d’être imposés. Cette hibernation forcée à contre-temps nous oblige à penser. Elle nous oblige à intégrer la notion de discontinuité comme gardienne de la santé. Nous n’avons plus le temps de rester dans l’illusion de l’éternité. Voyons l’effet du travail nocturne prolongé sur le risque de développer de nombreuses maladies, psychiques ou physiques comme des maladies cardiovasculaires, neurodégénératives ou cancéreuses.

Regardons ce qu’un sommeil nocturne permet comme élimination de déchets cellulaires, dont l’accumulation de certains est impliquée dans la physiopathogénie de la maladie d’Alzheimer. Inspirons-nous de la chauve-souris qui, lors de l’hibernation, maintient un virus dont elle a été infectée dans une phase de quiescence sans pouvoir infectant. Nous augmentons notre risque de développer une rhinopharyngite (dont l’agent infectieux est un coronavirus) si la quantité de notre sommeil est insuffisante. Prenons conscience que les besoins en sommeil sont différents en fonction des saisons. Nous devons penser l’hibernation humaine comme tous les niveaux de conscience naturelle qui permettent une récupération en fonction de nos vies et des saisons traversées : sommeil profond, sommeil paradoxal, rêverie, contemplation, méditation. La science a commencé à montrer comment certains de ces états modifient profondément la qualité du nettoyage de l’organisme. Le sens commun nous incite à creuser encore l’idée en particulier dans l’étude de la qualité de la réponse immunitaire.

Les virus n’ont d’autre intentionnalité que de trouver un organisme leur offrant de bonnes conditions de réplication. Jusqu’à un certain point, nous pouvons aménager nos vies pour tenir compte du fait que notre espèce incite et nous permet d’accéder à des niveaux de conscience modifiés, dont l’effet principal est de construire une relation adaptée à nous-mêmes et au monde, sans inflammation résiduelle, qu’elle soit psychique ou physique.

En face des virus émergents, l’excitation de notre monde à laquelle nous participons semble affaiblir nos premières lignes de défense, car nous ne prenons plus le temps de les reconstituer grâce au merveilleux mécanisme qu’a prévu le vivant : celui de l’hibernation.

Thomas Girard, Médecin interniste.

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