Après le référendum grec, l’équation à plusieurs inconnues

La très nette victoire du «non» lors du référendum grec du 5 juillet a une seule conséquence politique certaine : elle empêchera que soient adoptés en l’état les deux projets d’accord rejetés par les Grecs, qui portaient sur le contenu des réformes à mettre en place en contrepartie de l’aide financière extérieure, ainsi que sur l’évolution du poids de la dette de la Grèce. Au delà, elles confrontent les Européens à une équation à plusieurs inconnues, dont la résolution déterminera si la Grèce peut ou non rester membre de la zone euro et, plus globalement, le futur économique et social de ce pays.

Première inconnue : quel usage les autorités grecques feront-elles de leur victoire ? Les premières déclarations d’Aléxis Tsípras laissent augurer d’une capacité apparente à ne pas céder à une forme d’«hubris» - démesure et orgueil impliquant la vengeance des dieux grecs - qui serait suicidaire. A lui de ne pas considérer que la «démocratie grecque» aurait vaincu dans sa lutte contre un prétendu «chantage» bruxellois : la crise en cours a en réalité mis en évidence une fracture croissante entre le peuple grec et nombre d’autres de l’UE, tout aussi estimables et légitimes, de même que leurs représentants - attention au «déni de démocraties» ! A lui de moins insister sur la dimension européenne de son combat, au risque de braquer ses homologues, et davantage sur sa dimension nationale. Et donc sur sa volonté de rompre avec la Grèce des quarante dernières années via une révolution notamment fondée sur la justice sociale et fiscale. A lui surtout de tirer parti de l’énorme élargissement de sa base électorale (de 36 % en janvier à 61 %), non pas seulement pour renforcer sa position face à ses créanciers, mais pour s’affranchir de sa base radicale et forger les compromis nécessaires avec l’UE. Bref, à lui de bien jouer sa «carte référendaire» sans surestimer l’ampleur de ses marges de manœuvre dans les négociations qu’il entend poursuivre afin d’obtenir le meilleur accord possible et de créer les conditions du maintien de la Grèce dans la zone euro.

Deuxième inconnue de l’équation : quelle sera l’attitude des partenaires de la Grèce ? Les réactions exprimées dans nombre de capitales dénotent une forme de lassitude, voire d’exaspération, qui devront être surmontées pour qu’un accord advienne. Aux chefs d’Etat et de gouvernement de reprendre les négociations dans un esprit exigeant, mais constructif, sans laisser la bride sur le cou à leurs ministres des Finances et au FMI. A eux de faire preuve d’un authentique esprit de «leadership» sans se contenter de suivre leurs opinions publiques ou d’agir en fonction de leurs seuls intérêts partisans. A eux de prendre toute la mesure des enjeux économiques, financiers mais aussi géopolitiques d’un défaut de paiement prolongé de la Grèce : si la zone euro peut éventuellement se remettre d’un «Grexit», l’UE n’a rien à gagner du chaos qui s’installerait dans ce pays des Balkans s’il était amené à s’enfoncer dans la crise. Bref, à eux de se montrer suffisamment visionnaires et magnanimes pour redonner une perspective d’espoir aux Grecs, en contrepartie d’engagements de réformes crédibles et suivis d’effets.

Troisième inconnue de l’équation gréco-européenne : quel pourrait être le contenu d’un accord ? Sur ce registre, les longues discussions des derniers mois et les déclarations des derniers jours ont largement délimité les contours d’un compromis, dont plusieurs paramètres sont appelés à varier pour tenir compte du verdict référendaire. Aux négociateurs de s’entendre sur le détail des mesures permettant de restaurer la solvabilité de la Grèce, via l’augmentation de certaines recettes (TVA, taxes sur les bénéfices…) et la baisse de certaines dépenses (retraites et défense par exemple). A eux d’engager sans délai le réexamen du poids de la dette grecque, notamment en revoyant encore les délais et taux de remboursement. A eux encore d’adopter les décisions d’urgence visant à garantir la liquidité des banques et de l’économie grecques, via l’adoption d’un troisième plan d’aide, qui permettra à la BCE de poursuive son soutien. A eux enfin de proposer un plan d’investissement suffisamment massif pour soutenir la croissance et reconstruire l’Etat et l’économie de la Grèce. Bref, à eux de sortir par le haut de la parenthèse de «l’Europe-FMI», dont se sont déjà extirpés l’Irlande et le Portugal.

La dernière inconnue des négociations gréco-européennes est d’ordre émotionnel : s’agit-il vraiment de résoudre une «équation», de manière rationnelle, ou bien de céder à des pulsions plus primaires en étant «bête et méchant» ? Les Grecs parviendront-ils à se persuader qu’ils n’auront reconquis leur souveraineté qu’à condition d’être à nouveau capables de se financer sur les marchés, ce qui suppose d’inévitables disciplines et réformes, que leur pays soit ou non membre de la zone euro ? Les Européens reconnaîtront-ils que leurs responsabilités sont aussi engagées en Grèce, et qu’il leur faut donc les assumer, y compris financièrement, plutôt que de céder à la tentation d’excommunier ce pays ? Les uns et les autres réussiront-ils à se «pardonner leurs offenses» afin de se tourner vers un avenir commun pressenti meilleur ? Voilà beaucoup de questions sans réponse à ce stade - bien au-delà de celle posée aux Grecs le 5 juillet. Aléxis Tsípras entend utiliser sa victoire comme un «levier d’Archimède» pour obtenir au forceps un meilleur accord, au bénéfice de tous. Mais Archimède nous a surtout éclairés sur les lois de la gravitation, et la pesanteur à laquelle est soumise la Grèce ne s’est pas allégée depuis le 30 juin, ni sur le plan financier (ses besoins d’argent sont encore plus grands) ni sur le plan politique (ses partenaires ne sont guère plus conciliants). Un accord entre la Grèce et l’UE est plus que jamais nécessaire, souhaitable et difficile - aux Européens de rendre possible un libérateur «eureka» !

Yves Bertoncini, Directeur de l'Institut Jacques-Delors.

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