Après les attentats à Paris, quelle démocratie pour la France?

Un rassemblement observe une minute de silence devant la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 16 novembre. Credit Ian Langsdon/European Pressphoto Agency
Un rassemblement observe une minute de silence devant la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 16 novembre. Credit Ian Langsdon/European Pressphoto Agency

Au lendemain des attentats de janvier, j’ai passé deux jours, sans pouvoir décrocher, devant les chaînes info. Au lendemain des attentats du 13 novembre, c’est à peine si j’ai allumé ma télé ; je me suis contenté d’appeler les gens de ma connaissance qui habitaient dans les quartiers touchés (ce qui faisait déjà pas mal de monde). On s’habitue aux attentats.

En 1986, une série d’explosions a eu lieu, à Paris, dans différents lieux publics. (C’était le Hezbollah libanais, je crois, qui en était responsable.) Il y a eu quatre ou cinq attentats, séparés par quelques jours, parfois par une semaine. J’ai un peu oublié. Mais ce dont je me souviens parfaitement c’est de l’ambiance, dans le métro, la première semaine. Le silence, à l’intérieur des rames, était total ; et les regards des passagers se croisaient, lourds de méfiance.

Ça, c’était la première semaine. Et puis, assez vite, les conversations ont repris, l’ambiance est redevenue normale. L’idée d’une explosion imminente était toujours là, dans l’esprit de tous ; mais elle était passée à l’arrière-plan. On s’habitue aux attentats.

La France tiendra. Les Français tiendront, sans même déployer un héroïsme particulier, sans même avoir besoin d’un « sursaut national ». Ils tiendront parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement, et parce qu’on s’habitue à tout. Et parce qu’aucune puissance humaine, ni même la peur, n’est aussi forte que l’habitude.

Keep calm and carry on. Eh bien d’accord, c’est ce qu’on va faire (même si nous sommes bien loin, hélas, d’avoir un Churchill à notre tête). Contrairement à une idée répandue, les Français sont plutôt dociles, plutôt faciles à gouverner. Mais ils ne sont pas pour autant complètement idiots. Leur principal défaut résiderait plutôt dans une sorte de frivolité oublieuse qui rend nécessaire, périodiquement, de leur rafraîchir la mémoire. La situation fâcheuse dans laquelle nous nous trouvons a des responsables, des responsables politiques ; et ces responsabilités politiques il faudra bien, tôt ou tard, les examiner. Il est peu probable que l’insignifiant opportuniste qui nous tient lieu de chef de l’état ou le demeuré congénital qui fait office de premier ministre ou même les « ténors de l’opposition » (LOL) ressortent grandis de l’examen.

Qui, exactement, a diminué les effectifs des forces de police, jusqu’à ce qu’elles soient complètement sur les nerfs, et rendues presque incapables d’accomplir leur mission ? Qui, exactement, nous a seriné au fil des années que les frontières étaient une absurdité vieillotte, signe d’un nationalisme rance et nauséabond ?

Les responsabilités, on le voit, sont largement partagées.

Quels responsables politiques ont engagé la France dans des opérations absurdes et coûteuses ayant pour principal résultat de plonger dans le chaos l’Irak, puis la Libye ? Et quels responsables politiques s’apprêtaient, il y a très peu de temps encore, à faire la même chose en Syrie ?

(Enfin j’oubliais, c’est vrai que nous ne sommes pas allés en Irak ; pas la deuxième fois. Mais il s’en est fallu de peu, et il semble bien que Dominique de Villepin restera dans l’histoire uniquement pour ça — ce qui n’est pas rien — pour avoir empêché que la France pour une fois, pour la seule et unique fois de l’histoire récente, ne participe à une opération criminelle doublée d’une connerie.)

La conclusion qui s’impose est malheureusement sévère : nos gouvernements successifs depuis dix (vingt ? trente ?) ans ont lamentablement, systématiquement, lourdement failli dans leur mission essentielle : protéger la population placée sous leur responsabilité.

La population, elle, n’a nullement failli. Au fond, on ne sait pas exactement ce qu’elle pense, les gouvernements successifs s’étant bien gardé d’organiser des référendums (enfin sauf un, en 2005, mais ils ont préféré ne pas tenir compte du résultat). Les sondages d’opinion, cependant, restent autorisés, et, pour ce qu’ils valent, révèlent à peu près les choses suivantes. La population française a toujours maintenu sa confiance et sa solidarité envers ses forces de police et ses armées. Elle a dans l’ensemble accueilli avec dégoût le prêchi-prêcha de la « gauche morale » (morale ?) sur l’accueil des réfugiés et des migrants. Elle n’a jamais envisagé sans suspicion les aventures militaires extérieures auxquelles nos gouvernants ont jugé bon de l’associer.

On pourrait multiplier les exemples de la faille, devenue abyssale, entre la population et ceux qui sont censés la représenter. Le discrédit qui frappe à l’heure actuelle en France l’ensemble des partis politiques n’est pas seulement massif : il est légitime. Et il me semble, il me semble bien que la seule solution qui nous reste serait de se diriger doucement vers la seule forme de démocratie réelle : j’entends, vers la démocratie directe.

Michel Houellebecq est l’auteur de Soumission

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *