Après les attentats de Paris, l’heure est venue de changer de stratégie

Suite aux attentats du vendredi 13 à Paris, deux questions sont inévitables: «Qu’est-ce qui a échoué?», et «Que faire?»

La plupart des experts insistent pour continuer à mener les politiques déjà en cours: plus de police, plus de surveillance, plus de frappes aériennes. Nos experts sont comme des généraux qui planifient la prochaine guerre, basée sur les leçons de la dernière. Et ils se trompent. La police française a échoué de façon spectaculaire, et les vieilles méthodes ne vont pas les aider pour sauver des vies innocentes à l’avenir.

En janvier déjà l’attentat contre «Charlie Hebdo» a révélé des failles: les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, qui ont mené les attaques étaient connus depuis longtemps par les agences de sécurité. Les armes utilisées lors de l’attaque ont été fournies à travers Bruxelles. L’attaque du vendredi 13 était un échec plus spectaculaire: une opération attaquant cinq objectifs distincts, ce qui suppose une énorme préparation logistique qui comprend des dizaines de conspirateurs. Ce fut une énorme opération dans laquelle plusieurs auteurs étaient connus par les autorités pour leurs activités de militants islamistes. Pourtant, les services de sécurité ont échoué à relier les informations disponibles et empêcher les attaques.

Du djihadisme «élitiste» au «mouvement de masse»

L’échec des méthodes de la police reflète un problème plus vaste: le mouvement djihadiste a évolué d’un groupe «élitiste» à un «mouvement de masse». Le danger pour la sécurité européenne n’est pas tant les «loups solitaires» – ces jeunes radicalisés en Occident qui agissent seuls, sans contact avec les réseaux djihadistes afin d’éviter la détection de la police. Avant le 11-Septembre, les combattants d’Al-Qaïda en Afghanistan et dans le monde étaient des centaines; aujourd’hui, rien qu’en Syrie et en Irak, Daech possède plus de 30 000 combattants. En 2001, Al-Qaïda a été confiné à l’Afghanistan, et dans certaines zones géographiques marginales comme le sud et l’est du Yémen. Daech contrôle aujourd’hui des gros morceaux de territoire dans deux pays au centre du Moyen-Orient arabe, et plusieurs points d’ancrage dans un nombre d’États défaillants dans le Moyen-Orient et Afrique du Nord et même au-delà.

Peu de gens savaient ce que signifiait l’idéologie salafiste-djihadiste avant le 11 septembre; maintenant Daech bénéficie d’une importante sympathie parmi les jeunes marginalisés parmi les communautés de migrants en Europe et ailleurs. L’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, la «guerre contre le terrorisme» de 6 trillions de dollars, les milliers de victimes et les milliards de dotations budgétaires nous ont conduits d’Al-Qaïda à Daech. Les réseaux djihadistes sont trop nombreux, sont répartis à travers l’Europe, contrôlent du territoire dans les pays voisins de la Méditerranée, ce qui en fait un problème beaucoup plus grave pour être traité par les méthodes policières traditionnelles.

Repenser la stratégie et réviser nos certitudes

Nous sommes confrontés à un changement de paradigme. Il est temps de repenser la stratégie et de réviser certaines de nos certitudes. Le djihadisme est une entreprise multinationale qui ne reconnaît pas les frontières des Etats-nations; ils sont combattus par des structures policières qui ne peuvent pas surmonter les frontières de l’État-nation. Au sein de l’Union européenne, les polices françaises et belges ont échoué à coopérer, même après «Charlie Hebdo». Pour combattre efficacement le djihadisme, il est nécessaire d’avoir une force de police intégrée et globale. Ce qui est impossible aujourd’hui comme le révèle clairement le dernier G-20, où, par exemple, la Turquie préfère combattre les kurdes qui sont également les ennemis jurés de Daech. Pourtant, toute lutte efficace contre Daech doit réviser les structures actuelles de la police, en cherchant l’intégration et l’efficacité plutôt que d’amasser plus de pouvoir qui viole les libertés fondamentales.

Ensuite, nous savons aujourd’hui que le djihadisme évolue dans des contextes d’Etats faillis. Prétendre que le renforcement de la «forteresse Europe» contiendra les Etats défaillants à travers la Méditerranée est une erreur. La vague de réfugiés, ainsi que les vagues terroristes nous rappellent que quand il y a le feu chez nos voisins, fermer la fenêtre ne suffit pas. L’Occident doit faire plus pour éteindre le feu, et de travailler sur la prévention des conflits à long terme, au lieu de dépenser des trillions dans des guerres contre-productives.

Une fois de plus les attentats à Paris ont démontré que le poison du terrorisme passe à travers le filet de la police. Il est maintenant temps de changer ce filet.

Vicken Cheterian, enseignant des relations internationales à l’université Webster, ainsi qu’à l’université de Genève, auteur de Open Wounds, Hurst/Oxford, 2015.

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