« Aquarius » : une obligation de coopération

A l’heure des tensions diplomatiques entre la France et l’Italie au sujet de l’Aquarius, le droit international et européen sert de monnaie d’échange à des dérobades politiques pusillanimes et à des agendas électoralistes indignes.

Qu’on le dise clairement, en matière de secours en mer, on ne saurait opposer les considérations élémentaires d’humanité et le droit maritime, comme on l’entend ces jours-ci à Paris et à Rome ! Les deux se conjuguent dans une responsabilité collective des Etats européens, tenus de mettre en place des mécanismes d’accueil solidaires.

« C’est pas moi, c’est l’autre ! »

On entend trop souvent que la crise migratoire actuelle est sans précédent, mais l’histoire de l’Aquarius est hélas cyclique. Quelques noms de navires devraient rester comme autant de taches sur notre mémoire collective : le Struma, rafiot bulgare avec à son bord 767 réfugiés juifs, qui fut bloqué à l’entrée du Bosphore pendant l’hiver 1941 et coulé par erreur par une torpille soviétique ; le Tampa, qui avait recueilli en mer 438 Afghans et auquel les autorités australiennes ont interdit l’accès au port de Christmas Island pendant plus d’une semaine en 2001, ce qui a causé une crise diplomatique majeure avec la Norvège, dont le cargo battait le pavillon.

Dans les années 1970, les boat people, qui fuyaient les atrocités de la guerre du Vietnam, voyaient la Malaisie, Singapour ou la Thaïlande fermer leurs ports aux navires qui les avaient secourus. Plus récemment et plus proche de nous, le Cap-Anamur a tangué en 2004 pendant trois semaines entre l’Italie et Malte, avec 37 migrants à bord, son capitaine a été ensuite mis en accusation pour trafic illicite de personnes avant d’être complètement blanchi par les juridictions italiennes. En 2009, le cargo turc Pinar est de nouveau ballotté entre Malte et Italie, laquelle accepte au bout de quatre jours de débarquer sur son sol les 140 migrants qui sont à bord.

Le droit de la mer contre le « ping-pong » humain

L’obligation de secours en mer a été précisée pour éviter ce ping-pong humain. Ce devoir le plus ancien des marins ne saurait toutefois peser uniquement sur les capitaines de navire. La Convention sur la recherche et le sauvetage maritimes de 1979 (dite convention SAR) prévoit l’organisation des services de sauvetage, la définition de zones de responsabilités par Etats et la coopération entre les différents centres nationaux.

Des amendements de 2004 exigent des Etats de garantir que les capitaines pourront débarquer les personnes secourues en un lieu sûr et ce dans un délai raisonnable. Les sauvetages de ce week-end, comme tant d’autres, montrent que les marins répondent à leurs obligations juridiques, même lorsque pèsent sur eux des menaces iniques de poursuites pour trafic illicite de personnes.

Ce sont les Etats qui s’y dérobent, avec des conséquences à la fois politiques, humanitaires et commerciales. Dans un communiqué du 11 juin, l’International Chamber of Shipping de Londres (l’association mondiale des armateurs) a d’ailleurs souligné que « si les navires des ONG sont empêchés de débarquer des personnes secourues en Italie, cela aura également des conséquences significatives pour les navires marchands (…), qui devraient à nouveau participer à un nombre significatif de sauvetages ».

Non, monsieur le Président, l’Italie n’est pas seule responsable !

Le président Macron comme le premier ministre ont désigné l’Italie comme seule responsable. C’est pour le moins inexact ! Certes, l’Italie viole ses obligations, non pas parce que le port le plus proche se trouverait sur son territoire.

La France devrait se rappeler qu’il n’existe pas d’obligation de débarquement dans le port le plus proche et que sa tentative de la faire inscrire dans les textes en 2002 a été rejetée, notamment par l’Australie et les Etats-Unis. Toutefois, l’Italie est l’Etat responsable de la zone de recherche et de sauvetage (SAR), et c’est à ce titre qu’il lui incombe l’obligation principale de fournir ou trouver un lieu sûr de débarquement.

Mais en l’occurrence, l’Italie partage en partie cette zone SAR avec Malte, laquelle a vite fait de rappeler qu’elle avait refusé d’adhérer aux amendements de 2004. Piètre gloire que d’être le seul Etat au monde à les avoir refusés !

Cette obligation principale de l’Etat responsable de la zone SAR ne lui est pas exclusive et les autres Etats intéressés ont une obligation de coopérer avec lui. Quels sont ces autres Etats intéressés ? Tous devraient l’être, puisqu’il s’agit de considérations élémentaires d’humanité. Mais le Royaume-Uni en tant qu’Etat de pavillon et la France, dont une bonne partie de l’équipage a la nationalité, ont des responsabilités prépondérantes.

Enfin, le droit européen prévoit une obligation de coopération loyale dans l’organisation du sauvetage en mer, mais aussi du débarquement. Les discussions du 13 juin au Parlement européen ont souligné cette responsabilité collective et le Parlement n’a pas exclu d’introduire une action en justice pour sanctionner la carence du Conseil.

Au mépris de la vie humaine

En attendant des solutions politiques concertées, ce sont les navires des ONG qui assurent ce service public du sauvetage en mer, puisque ce sont eux qui déchargent les navires marchands et ceux des garde-côtes italiens, maltais ou bien de Frontex (dont le mandat de 2016 inclut précisément le secours en mer).

À l’heure d’une importante réforme européenne du droit d’asile, une majorité d’Etats européens (dont la France) persiste dans le maintien de la folle logique du système Dublin, qui pèse trop lourdement sur l’Italie, la Grèce et l’Espagne. L’épisode de l’Aquarius est issu d’un calcul politique du gouvernement italien visant à contraindre cette majorité européenne à l’action, et ce au mépris de la vie humaine et de considérations juridiques élémentaires.

Cela ne peut être qualifié de « victoire » pour personne ! Ce n’est qu’un pis-aller à l’échec des principes de solidarité et de coopération loyale découlant du droit de l’UE, à l’échec des programmes 2015-2017 de relocalisation et de partage des responsabilités migratoires.

Par Andrea Gattini (Professeur à l’université de Padoue), Alina Miron et Bérangère Taxil (Professeures à l’université d’Angers) et Seline Trevisanut.

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