Arabie Saoudite : après Abdallah

Le décès du roi Abdallah, le 22 janvier, intervient dans un contexte régional chaotique et totalement inédit pour le royaume d’Arabie saoudite. Gage de continuité intérieure, les désignations immédiates de l’ancien prince héritier Salmane comme roi, et de Moqren (ancien second prince héritier) comme nouveau prince héritier, ni l’une ni l’autre entachées d’une quelconque objection, cherchent à rassurer la communauté internationale.

Cependant, la rapidité avec laquelle le nouveau roi a nommé par décret, en présence du Conseil de l’allégeance, le prince Mohammed Bin Nayef (MBN) ministre de l’Intérieur au titre de vice-prince héritier, et son fils Mohammed Bin Salman (MBS), au poste de ministre de la Défense et de directeur de son cabinet royal, ne manque pas de surprendre. Le grand perdant est le prince Mitaeb Bin Abdallah (ministre de la Garde nationale) que le roi Abdallah, son père, avait pourtant tout fait pour hisser au sommet du pouvoir.

La désignation d’un second prince héritier ne présentait aucun caractère d’urgence devant la bonne santé du nouveau prince héritier, Moqren, âgé de 69 ans. La désignation de MBS à la Défense intervient rapidement alors qu’elle constituait un point de blocage aigu entre feu le roi Abdallah et son successeur Salmane.

Ce premier coup de force du roi Salmane, montre sa détermination à réinstaller le clan Soudeïri - que le roi Abdallah s’était attaché à affaiblir sur la deuxième partie de son règne après la création du Conseil de l’allégeance en octobre 2006 - dans son leadership à la tête de la monarchie, notamment sur les questions sécuritaires. En s’opposant au souhait du roi Abdallah de voir son fils Mitaeb, aujourd’hui ministre de la Garde nationale, endosser la fonction de vice-prince héritier, le roi Salmane tranche, quelques heures après le décès du souverain Abdallah, la question restée jusque-là en suspens de savoir qui de Mitaeb ou de Mohammed Bin Nayef deviendra le premier souverain issu de la troisième génération (petits-fils du roi fondateur Ibn Saoud). Il conforte en outre la relation avec Washington qui n’a jamais caché sa préférence de voir MBN accéder au trône.

Cette décision ne doit cependant rien au hasard quand on sait à quel point les équilibres intradynastiques pèsent au sein du Conseil de l’allégeance. En désignant MBN comme vice-Premier ministre, le roi Salmane s’allie un membre très influent dans la famille et met la majorité du quorum des 35 princes qui composent le Conseil de l’allégeance de son côté. Il est désormais peu probable que ce dernier convoque le comité médical chargé d’établir un bilan de santé confirmant ou invalidant la capacité du roi Salmane à régner, et du coup celle du prince Moqren à conserver ses fonctions. Cette disposition est loin d’être anodine puisque le nouveau roi est atteint de la maladie d’Alzheimer (pour l’heure maîtrisée) : grâce à cette nouvelle configuration qui redonne au clan Soudeïri l’avantage sur l’appareil de décision de l’Etat, elle semble aujourd’hui exclue.

Les priorités actuelles du royaume sont à sa sécurisation intérieure face aux nombreuses menaces qui pèsent sur ses frontières, à la lutte contre le jihadisme et à l’encouragement d’une politique de l’emploi dans le secteur privé pour lutter contre le chômage (y compris pour les femmes) : ce seront aussi celles du nouveau souverain.

La situation aux frontières du royaume est cauchemardesque, avec au nord l’installation de Daech en Irak et en Syrie et, sur son flanc sud, l’effondrement de l’Etat yéménite aujourd’hui sous le joug des milices houthies (chiites) - le président Hadi, allié des Al-Saoud venant de démissionner avec l’ensemble de son gouvernement.

Le roi Salmane ne peut que se concentrer sur la sécurisation des frontières du royaume et œuvrer à la stabilité des pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Très probablement il cherchera à inscrire son action diplomatique dans la continuité de celle du roi Abdallah, autrement dit à préserver le statu quo pour maintenir la stabilité dont seul le CCG peut se prévaloir dans la région ; à privilégier une alliance stratégique régionale avec l’Egypte et avec la Jordanie afin de faire valoir les intérêts d’un axe sunnite conservateur face à un Etat iranien qui accumule les succès. Téhéran a considérablement accru son influence au Moyen-Orient : Liban, Irak, Syrie et aujourd’hui au Yémen, même si son implication directe n’est pas avérée dans le coup de force opéré par les Houthis ; il n’empêche, l’évolution de la situation au Yémen est un tel désaveu pour le rival saoudien que l’Iran ne peut qu’en bénéficier.

La politique sécuritaire et défensive, certes, devrait se renforcer et le dossier yéménite, traditionnellement cher aux Soudeïris, devrait dans l’immédiat redevenir la priorité régionale du royaume. Bien sûr, lutter contre Daech ou Al-Qaeda et contenir l’Iran demeureront la ligne de fond. Et, n’en doutons pas, le nouveau roi maintiendra avec autant de fermeté que son prédécesseur la politique agressive de Riyad pour défendre ses parts de marché dans l’économie pétrolière mondiale face au pétrole de schiste nord-américain.

Cependant, l’énergie que le nouveau souverain mettra pour imposer les nouveaux équilibres du pouvoir avec l’arrivée d’une nouvelle génération de Soudeïri, parmi laquelle son fils Mohammed, âgé de 34 ans à la tête d’un ministère de la Défense démantelé sous la fin de règne d’Abdallah, et qui pourrait redevenir l’une des priorités du roi Salmane, n’incite pas à imaginer une diplomatie régionale offensive sur tous les fronts.

Fatiha Dazi-Héni, spécialiste des pays du Golfe, chercheure Moyen-Orient-Golfe à l’Institut de recherches stratégiques de l’Ecole militaire (Irsem) et à Sciences-Po Lille. Auteure de «Monarchies et sociétés d’Arabie, le temps des confrontations», Presses de Sciences-Po, 2006.

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