Argentine : « L’inflation, tombeau de la présidence Macri »

Les marchés ne s’y trompent pas : dans la semaine qui a suivi les « primaires » argentines du 11 août, la Bourse argentine (l’indice Merval) et le peso ont perdu environ un tiers de leur valeur, sanctionnant l’échec politique du président Mauricio Macri, piégé par la mécanique infernale de l’inflation en Argentine. Avec 32 % des voix et 15 points de retard sur son rival péroniste Alberto Fernandez associé à l’ancienne présidente Cristina Fernandez de Kirchner (présidente de 2007 à 2015 après son mari, de 2003 à 2007), le président modéré devrait rendre le pouvoir au kirchnérisme lors des vraies élections présidentielles, le 27 octobre.

En dépit de l’assainissement et de la réouverture de l’économie réalisés par Macri, l’inflation aura été le tombeau de sa présidence. La première année de son mandat, en 2016, avait déjà été difficile : baisse du produit intérieur brut (PIB) de 2 %, accélération de l’inflation de 26 % en 2015 à 41 % en 2016, hausse du chômage…

Mais cette dégradation était annoncée, car elle s’explique par le ralentissement des dépenses publiques, qui avaient massivement accru le déficit budgétaire sous l’ère Kirchner, et par l’« ajustement » des tarifs publics maintenus à des niveaux artificiellement bas par les présidences précédentes. 2017 semblait annoncer la fin du tunnel : retour à la croissance, baisse de l’inflation (à 30 % tout de même), reprise de l’investissement…

Macri a réglé la question de la dette argentine et des contentieux avec les sociétés étrangères, faisant ainsi revenir les investisseurs internationaux. Quant à sa politique de parité flexible, qui succède au change semi-fixe et au féroce contrôle des changes de l’ère Kirchner, elle favorise la compétitivité des exportations.

Ces résultats permettent à Macri de gagner aisément, fin 2017, les élections de mi-mandat, souvent délicates pour le pouvoir. Mais très vite, le couple infernal inflation-taux de change, particulièrement toxique pour l’Argentine, fera trébucher le président. Il avait hérité du mandat précédent une inflation record de 30 %, alimentée par une spirale prix-salaires parfaitement huilée et protégée par une burlesque politique de trucage de l’indice. L’INSEE argentine (INDEC) annonçait imperturbablement, sur ordre, une inflation à un chiffre alors qu’elle était, en réalité, quatre fois supérieure.

Ces pratiques indignes d’un pays du G20 ont d’ailleurs valu à l’Argentine une mise au ban du Fonds monétaire international (FMI). Le nouveau président a rapidement réformé l’INDEC, mis à sa tête un péroniste raisonnable, et rétabli une relation normale avec le FMI.

Changement de thermomètre

Mais un changement de thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre. Au lieu d’affronter d’emblée l’hydre inflationniste pour lui casser les reins – en instaurant un blocage des prix et des salaires par exemple –, Macri a choisi le « gradualisme » : ralentissement de la masse monétaire, réduction des déficits publics… Dans les prévisions officielles, le retour à une inflation normale, c’est-à-dire inférieure à 10 %, était renvoyé à un deuxième mandat, autant dire aux calendes grecques, alors même que la politique macriste de vérité des tarifs publics, justifiée dans son principe, venait donner une nouvelle impulsion à l’inflation !

Surtout, ce « gradualisme » était rendu plus inopérant encore par la « dollarisation » de l’économie. Echaudée par des crises financières à répétition depuis un siècle, la classe moyenne argentine transforme systématiquement son épargne en billets verts ou en investissements immobiliers, notamment à Punta del Este (Uruguay) ou à Miami (Floride). Ou si elle n’en a pas les moyens, elle en rêve. Or, au printemps 2018, l’Argentine est frappée par une crise du change qui fait brutalement dévisser le peso de 20 % par rapport au dollar. Cette crise est surtout externe : elle est due à la sécheresse qui frappe le soja exporté et donc les rentrées en devises, mais aussi au relèvement par la Réserve fédérale américaine des taux d’intérêts américains. Les capitaux flottants refluent vers le dollar au détriment des monnaies des pays émergents, dont le peso.

Le piège est armé, et Macri ne saura s’en défaire. Cette crise du change et les suivantes donnent, en effet, un coup de fouet formidable à l’inflation, aujourd’hui supérieure à 50 % en glissement annuel. Cette accélération s’explique par le fait que, lorsque le peso se déprécie, les agents économiques ne peuvent préserver leur pouvoir d’achat exprimé en dollars qu’en faisant valser les étiquettes de prix et en réclamant des augmentations de salaires.

A l’inflation importée classique de toute dévaluation, due au renchérissement automatique des prix des produits importés, s’ajoute donc cette « inflation par dollarisation » typiquement argentine. Les Argentins sont tellement conditionnés qu’ils ne disent jamais que « le peso baisse », mais toujours que « le dollar monte »… Naturellement, cette accélération inflationniste a concouru à l’érosion de la confiance des opérateurs, qui a elle-même conduit à de nouvelles crises du change : par dévaluations successives, le peso aura perdu au total les deux tiers de sa valeur durant l’ère Macri…

Sacrifices

Le résultat est éloquent : baisse du pouvoir d’achat rogné par l’inflation, montée du chômage à 10 % et de la pauvreté (un tiers de la population), baisse du PIB en 2018 et en 2019 alors que Macri prévoyait une croissance annuelle de 3 % et bien sûr une accélération de l’inflation entre le début et la fin du mandat présidentiel. Toute honte bue, Macri demande en mai 2018 une aide du FMI qui, mobilisant la majorité de ses ressources pour l’Argentine, lui octroie 60 milliards de dollars de façon à rembourser une dette à court terme très alourdie. L’austérité budgétaire et le blocage partiel des prix et des tarifs (que Macri aurait dû faire en début de mandat !) complètent ce programme.

Les Argentins avaient accepté les sacrifices demandés par Macri en échange d’un assainissement des finances publiques et de l’économie qui n’est pas venu, faute de maîtrise des deux cercles vicieux change-inflation et prix-salaires qui ravagent l’économie argentine. Logiquement, ils se tournent à nouveau vers les péronistes, qui disent avoir changé. « A Jorge Luis Borges, qui n’aimait pas le péronisme ( il le lui rendait bien), on a prêté la phrase suivante:  : « ils ne sont ni bons ni mauvais, ils sont incorrigibles. » Les deux Fernandez, Alberto et surtout Cristina, se sont-ils corrigés, eux ? C’est le pari des Argentins.

Yves de Ricaud est consultant en développement économique international et ancien conseiller économique et commercial à Pékin, Hongkong, Delhi, Le Caire, Séoul, Johannesburg et Buenos Aires.

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